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et si touchante. Nous avons vu[1], au lendemain d’Oudenarde, la fermeté qu’elle déploya en tenant tête aux ennemis de son mari, l’appui dont elle lui fut auprès du Roi, et sa fière attitude vis-à-vis de Vendôme. Mais, malgré tout son courage, elle n’en demeurait pas moins femme, agitée, tremblante, excessive. C’est ainsi qu’elle nous apparaît dans les fréquentes et longues lettres que Madame de Maintenon adressait, à cette époque à la princesse des Ursins, lettres admirables de patriotisme, — car, quoi qu’on en ait dit, elle a toujours senti profondément les malheurs de la France, et aussi de clairvoyance, car, dès le premier jour, elle prévoit comment les événemens se termineront, et demeure la seule à n’entretenir aucune illusion. Nous ne tirerons de ces lettres que ce qui concerne la Duchesse de Bourgogne ; elle va nous apparaître toute différente de l’aimable et un peu frivole princesse que nous avons connue.

Le 26 août, Madame de Maintenon écrivait de Fontainebleau : « Je pense comme vous sur M. le Duc de Bourgogne, et je crois qu’en effet il faudrait lui cacher la moitié des sentimens de madame sa femme ; enfin, Madame, elle en est à jeûner pour lui ; vous voyez bien que c’est le dernier effet qu’on aurait pu attendre de son amitié. Elle ne vit pas, dans les différentes agitations où elle est ; je ne sais point ce qu’elle mande à la reine sa sœur, mais je vous assure que vos affaires lui tiennent bien au cœur : elle tremble pour les noires ; elle étudie continuellement le visage du Roi, et est au désespoir si elle croit y voir de la tristesse ; elle ne trouve pas que M. le Dauphin en ait assez. Elle ne peut parler d’autre chose que de ce qui l’occupe ; elle essaie de s’amuser, sans pouvoir y parvenir ; le cœur lui bat à chaque courrier : elle craint pour la vie de son mari : elle craint pour sa réputation ; elle voudrait qu’il s’exposât comme un grenadier ; elle ne peut souffrir qu’on lui donne le moindre blâme, et serait très affligée s’il faisait la moindre chose que le Roi n’approuvât pas ; enfin. Madame, elle est présentement une des plus malheureuses personnes du monde, et c’est moi qui lui prêche la tranquillité et la confiance[2]. »

Le 9 septembre elle écrivait de Saint-Cyr : « Enfin, Madame, je suis à être affligée de ce qui fait l’admiration de tout le monde dans ce qu’on voit du cœur de Madame la Duchesse de

  1. Voyez la Revue du 1er juillet 1902.
  2. Lettres de Mme de Maintenon à la Princesse des Ursins, t. I, p. 308.