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pas qu’on leur parle de grandeur nationale. Mais de pareils esprits sont encore en petit nombre ; et, s’ils redoutent les conquêtes de la force, tous ne font pas fi des conquêtes morales. Nous ne sommes pas, quant à nous, de ceux qui s’arrogent le monopole du patriotisme et qui prétendent contester à leurs adversaires la qualité de bons Français. Nous croyons volontiers au patriotisme de tous, et c’est à ce patriotisme que nous nous plaisons à faire appel ici. Comment, en effet, prétendre rester patriotes, si, dans le vote ou dans l’application des lois, on ne veut tenir aucun compte de la répercussion de ces lois sur la puissance du pays ? Se désintéresser des effets de la politique anti-cléricale sur notre politique générale, ne serait-ce pas se reconnaître indifférent à la grandeur de la France, et par suite avouer qu’on ne craint pas de laisser les préjugés religieux primer le sentiment national ? Socialistes ou radicaux, les hommes qui prétendent supprimer les congrégations de France auraient mauvaise grâce à nous contester le droit de porter le débat sur ce large terrain des intérêts français. Ce serait proclamer que, pour eux, l’anti-cléricalisme passe avant le patriotisme, et que leur amour de la France le cède à leur haine de l’Eglise. Et, si ce n’est pas là une sorte de fanatisme, que faut-il entendre par fanatisme ?

Il s’agit, précisément, de savoir si la politique française doit désormais rester à la merci des préventions et des antipathies de l’anti-cléricalisme. En dépit des traditions de notre ministère des Affaires étrangères, notre politique a déjà bien du mal à s’en défendre. Pour les majorités radicales-socialistes, l’horizon de la France semble se borner à nos étroites frontières. Elles ont peine à concevoir que, pour un peuple et pour un gouvernement, il puisse y avoir quelque chose de supérieur aux passions de parti, à l’esprit de secte ou aux intérêts électoraux. Voici longtemps déjà que nous avons dû le constater : l’anti-cléricalisme contemporain ne craint pas de se rendre coupable de ce qu’il reproche, le plus bruyamment, à ceux qu’il flétrit du nom de « cléricaux[1]. » Des hommes qui accusent les catholiques d’être plus dévoués à Rome qu’à la France ne semblent pas s’apercevoir qu’ils se montrent eux-mêmes libres penseurs avant d’être Français, comme s’il leur paraissait naturel de mettre ce

  1. Voyez, par exemple : les Doctrines de Haine. Introduction, p. 49.