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Quand Türr se présenta de nouveau chez Bismarck, il le trouva dans son jardin. Dès qu’il aperçut le général, il s’avança vers lui à grands pas, lui tendit les deux mains avec une expression joyeuse. « Eh bien ! la guerre est décidée, et la coopération de la Hongrie est acceptée ; le sort en est jeté, j’ai bonne confiance ; mais n’oublions pas que le Dieu tout-puissant des armées est capricieux. »

Plus que du Dieu des armées, auprès duquel il comptait sur l’intercession de Moltke, il se montrait préoccupé du mystérieux Empereur de Paris : « Ah ! si Napoléon voulait, disait-il à Türr, la guerre nous serait aisée. Il pourrait prendre la Belgique, le Luxembourg même, rectifier ainsi sa frontière. Je lui ai déjà proposé tout cela ; mais il n’a pas voulu accepter. Allez à Paris et faites connaître ce que je vous dis au prince Napoléon[1]. Envoyez-moi ensuite au plus tôt le général Klapka, afin que nous nous entendions sur la légion hongroise. »

L’engin par lequel Bismarck comptait produire l’explosion était tout prêt. C’était la constitution que le Parlement de Francfort de 1848 avait laissée sur la table. Le premier article impliquait l’exclusion de l’Autriche : « La Confédération comprend tous les États qui en ont fait partie jusqu’ici, à l’exception de l’empire d’Autriche et du royaume des Pays-Bas pour leurs territoires respectifs. » Les autres articles remettaient au Parlement allemand le soin des affaires communes ; la marine allemande, entretenue par le budget allemand, passait, avec le port de Kiel et la baie de Jahde sous le commandement de la Prusse ; la force militaire était divisée en deux armées : celle du Nord sous les ordres du roi de Prusse, celle du Sud sous ceux de la Bavière. Quant aux rapports de la nouvelle Confédération avec les provinces allemandes de l’Autriche, ils devaient être réglés ultérieurement par des traités et conventions dont rétablissement était réservé au futur Parlement.


VIII

Bismarck communiqua son projet à l’Empereur afin qu’il s’assurât qu’aucun des intérêts essentiels de la France n’était menacé. L’Empereur fut alors contraint de sortir de son vague et

  1. Lettre de Türr de Vienne, du 2 août 1870, dans le journal hongrois Réforme, reproduite récemment dans la Deutsche Revue.