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Vénétie est cédée, elle le soit par le suffrage universel et non par une cession à la France. Ce serait humiliant et ferait un effet déplorable en Italie, ayant plus de 300 000 hommes prêts à marcher. J’ai toujours cherché à faciliter une solution pacifique de la question vénitienne. Je préférerais la guerre à une telle solution. » Sa vertu, doublée de ces considérations pratiques, devint inflexible.


IV

L’Empereur eut alors à résoudre un des cas de conscience les plus graves qui se soient posés à un souverain.

En permettant au ministre italien d’être vertueux, il n’était pas obligé de l’être avec lui, au détriment de son pays. Il avait constamment déclaré que, s’il répondait en ami aux interrogations qu’on lui adressait en ami, il n’entendait point aliéner sa complète liberté d’action. Il lui était donc loisible de dire à l’Italie : « Si en retour de la Vénétie promise, vous croyez pouvoir assurer à l’Autriche votre neutralité, de mon côté je ne lui accorderai rien de plus ; mais si, ne tenant nul compte de sa proposition, vous vous jugez tenus à l’attaquer dès que la Prusse prendra l’initiative des hostilités, et si néanmoins l’Autriche réalise la cession qu’elle me promet, ne pouvant lui garantir votre neutralité, je lui accorderai mon alliance. Il n’en résultera pas une guerre entre nous, puisque votre traité ne vous engage qu’à attaquer l’Autriche et non ses alliés, et que je n’arrêterai pas votre zèle guerrier en Italie, ne m’avançant aux côtés de l’Autriche que sur les champs de bataille de l’Allemagne… »

Bismarck eût-il décidé son roi à affronter seul l’Autriche, l’Allemagne et la France, il n’est pas supposable que son armée, quelle que fut son excellence et celle de ses chefs, eût obtenu les succès prodigieux que nous raconterons.

Sans doute une victoire de l’Autriche n’aurait pas eu les effets foudroyans que prophétisait Persigny ; elle n’aurait pas anéanti la Prusse et ne l’aurait pas coupée en plusieurs morceaux dont chacun prendrait ce qui lui conviendrait. Cette défaite aurait été vite réparée, la Prusse serait demeurée le pivot futur de l’Allemagne. Mais le jour certain de sa domination eût été reculé et rejeté dans un avenir lointain.

Des scrupules personnels détournèrent l’Empereur de ce parti,