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Enfin une dernière faute de M. Waldeck-Rousseau, qui a rendu encore plus inévitables et plus faciles les conséquences des autres, a été l’inopportunité avec laquelle il a donné sa démission. Assurément les républicains libéraux ne pouvaient pas regretter son départ en lui-même : ils ont pourtant senti dès le premier jour que la situation empirait vite entre les mains de M. Combes. Nous ne savons pas si M. Waldeck-Rousseau aurait pu ralentir et modérer longtemps le mouvement qu’il avait déchaîné, mais c’était son devoir de l’essayer. Quand on a fait une loi aussi complexe et aussi délicate que celle du 1er juillet 1901, on n’a pas le droit d’en abandonner l’exécution à un autre. Si M. Waldeck-Rousseau n’a pas prévu les conséquences de sa démission, cela ne fait pas honneur à son esprit politique. S’il les a prévues, que faut-il penser de sa désertion ?

Le débat a commencé devant la Chambre dans les pires conditions : il a fallu le courage et le talent de M. Denys Cochin, de M. Ribot, de M. Aynard, de M. Renault-Morlière et de quelques autres pour lutter comme ils l’ont fait contre un torrent qu’il n’était plus possible d’arrêter. Les griefs les plus divers ont été énoncés contre les congrégations, sans qu’on ait pris la peine d’en prouver aucun. A quoi bon ? La majorité sûre d’elle-même, elle n’avait pas besoin de vains argumens. A certaines congrégations on a reproché de se mêler à la vie courante et de participer aux affaires du siècle. Lorsqu’on en est venu à la dernière, celle des Chartreux, M. l’abbé Lemire l’a défendue avec une éloquence qui partait du cœur. Il a demandé qu’on épargnât une congrégation purement contemplative, qui servait de refuge à ces âmes douloureuses et blessées auxquelles M. le président du Conseil avait autrefois témoigné de l’intérêt. — Ce sont des égoïstes ! s’est écriée une voix. — Ainsi, lorsqu’une congrégation fait œuvre de propagande ou de dévouement, on l’accuse de troubler le monde en se mêlant à lui, et quand une autre se recueille dans la solitude et dans la prière, on l’accuse de pratiquer l’égoïsme. Comment faire pour échapper à la critique ? Les orateurs les plus brutaux ont été les plus loyaux, et nous préférons leur franc-parler à l’hypocrisie des autres : ils ont déclaré tout crûment qu’à leur avis les congrégations n’avaient pas de place dans la société moderne. Avec eux, on sait tout de suite à quoi s’en tenir. Déjà les plus hardis commencent à insinuer que le clergé séculier n’a pas de place non plus dans la société moderne. Ce qui se passe aujourd’hui n’est que le premier acte d’un drame qui doit se poursuivre, et nous allons voir que M. le président du Conseil en prépare déjà l’évolution et le dénouement.