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Un naturaliste informé, comme M. Metchnikoff, ne sera pas embarrassé pour nous en donner la raison. L’homme porte en lui un vice originel : c’est son long atavisme. Il est issu d’une souche simienne. Il est le cousin, le parent « arrivé » d’un genre de singes anthropomorphes actuels, les chimpanzés, qui, eux, sont restés en arrière. Il a eu vraisemblablement un ancêtre commun avec eux, quelque dryopithèque d’espèce éteinte ; de celui-ci est sorti un nouveau type, déjà en progrès, le Pithécanthropus erectus. Enfin, l’ancêtre anthropoïde a engendré, un beau jour, un rejeton nettement supérieur à lui-même, un être miraculeusement doué, l’homme. Il ne s’agit plus ici de l’évolution lente et du progrès goutte à goutte des transformistes du XIXe siècle. Le naturaliste hollandais de Vries nous a montré qu’il faisait des sauts et qu’il y avait, dans la vie des espèces, des sortes de crises périodiques, pendant lesquelles brusquement apparaissent dans leur progéniture des différences considérables et d’une valeur spécifique. Il est vraisemblable que l’homme a été ainsi l’enfant prodige d’un anthropoïde en phase critique. Il est né avec un cerveau et une intelligence supérieurs à ceux de ses humbles parens ; et en même temps, il a hérité d’eux une organisation qui n’est qu’insuffisamment adaptée aux nouvelles conditions d’existence créées par le développement de sa sensibilité et de sa cérébralité. Cette intelligence, disproportionnée à une organisation dont le développement n’a pas marché du même pas, soutire de ces discordances que l’adaptation n’a pas encore eu le temps d’effacer ; et, en particulier, elle proteste contre la plus grande de ces discordances, la connaissance de la mort inévitable sans l’instinct qui la fait désirer.


IV

La maladie est la seconde des misères de l’humanité qu’il faut examiner maintenant. Si fréquente soit-elle, si constante, elle n’est pourtant pas autre chose qu’un fait en dehors de l’ordre naturel : son caractère est nettement accidentel et elle vient interrompre le cycle normal de l’évolution. L’observation médicale nous apprend, d’autre part, que la santé du corps retentit sur celle de l’âme et que c’est donc l’homme tout entier, l’homme moral comme l’homme physique, qui reçoit les atteintes du mal physique, qui reçoit les atteintes du mal physique. Bacon a dit qu’un corps maladif est un geôlier pour