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tel : il n’est pas question de cela dans le Manuel du Baccalauréat ès sciences . M. Metchnikoff écarte ces faux-fuyans. L’esprit scientifique prolonge la science. C’est en son nom que parlaient les généralisateurs, Ludwig Büchner, l’auteur du livre Force et Matière, qui vers le milieu du XIXe siècle était regardé comme le code du matérialisme, et quarante ans plus tard E. Haeckel, le célèbre champion du transformisme, l’auteur de l’ouvrage les Enigmes de l’Univers. Ce sont ceux-là qui ont fait ces promesses dont parlait M. Brunetière. En les faisant, ils représentaient bien l’opinion d’une fraction importante des savans de cette époque, positivistes et matérialistes. M. Metchnikoff déclare qu’ils avaient droit et raison pour les faire : leur seul tort, à ses yeux, a été de les mal tenir.

Oui, si la science acquiesçait à la déclaration décourageante de Du Bois Reymond, « Ignorabimus, » M. Melchnikoff pense que, de sa part, ce serait renoncer au rôle d’institutrice de l’humanité. Si elle se récusait pour incompétence ; si elle se déclarait impuissante à résoudre les problèmes essentiels qui torturent l’esprit humain, ce serait abandonner les rênes aux philosophies et aux religions. Beaucoup de savans y sont disposés. M. Ch. Bichet lui-même ne disait-il pas à propos de la destinée humaine, que c’est l’énigme dernière, « qui ne sera probablement jamais résolue. »

M. Metchnikoff ne souscrit pas à cet aveu d’impuissance fait par tant de savans prudens. Ce serait justifier les grands esprits qui se sont détournés de la science et qui ont eu pour elle l’espèce de dédain tranquille que les peuples de l’Extrême-Orient éprouvent pour le bric-à-brac mécanique de la civilisation occidentale.

Rappelons-nous l’apostrophe célèbre de Jean-Jacques demandant si la science nous a fait autres que nous serions : « Répondez-moi donc, philosophes illustres… » Il y a plus ; si elle est impuissante, la science sera nuisible. « C’est une arme dangereuse, » dit Jean-Jacques. Elle nous révèle des maux que la nature nous cache. Si aujourd’hui encore on ne peut contester qu’elle ait amélioré la vie matérielle, on l’accuse de n’avoir rien fait pour la vie morale, rien que détruire les vieilles illusions capables de bercer les hommes. Elle a jeté le doute sur l’idée consolante de la survivance de la conscience personnelle, révélé