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charpentier ; le mariage eut lieu dans la vieille cathédrale et après des scènes touchantes dignes d’un roman de Frédérika Bremer, le jeune couple partit pour l’Amérique, où Jacob ne pouvait encore assurer à sa femme qu’une vie passablement précaire. Mais l’exemple de leur modeste intérieur fut l’illustration vivante de la croisade qu’il allait prêcher « pour le foyer contre la pension. » On sait que, dans les grandes villes d’Amérique, les gens qui n’ont que peu d’argent se passent souvent du home ; ils logent dans des chambres meublées, sans intimité possible, prenant leurs repas à table d’hôte et supprimant ainsi le problème du service.

— A bas la pension ! Vive le foyer ! cria Jacob. Pour accomplir sa destinée, notre nation doit retourner à la vie domestique !

Et il démontra que la gloire d’une jeune femme est de s’occuper de son intérieur : il fit gaîment l’éloge d’un rôti, qui, fût-il brûlé, est préparé par des mains blanches et mangé en tête à tête par deux amoureux. Le public applaudit, les politiciens avec lui ; mais le désir même qu’avaient ceux-ci de s’approprier l’humeur militante de Jacob Riis, les moyens qu’ils employaient pour cela, l’éloignèrent un instant de la presse proprement dite. Il se réduisit aux annonces et donna un élan nouveau à ce genre de publicité. On le vit, par les rues et dans les campagnes, promener une sorte de lanterne magique énorme et mêler à des images-réclames de nombreuses projections artistiques, paysages, figures et monumens. Ce spectacle, tout instructif qu’il fût, n’était certainement pas du genre le plus relevé. Jacob professe l’idée américaine : peu importe ce que fait un homme, pourvu qu’il le fasse bien et honnêtement. Rien de plus curieux que le récit des représentations qui eurent lieu en Pensylvanie durant la sinistre année 1877, où le feu éclata, où le sang coula à la suite de grèves que l’annoncier ambulant combattait de son mieux dans l’intérêt commun des ouvriers et des patrons, tout en se trouvant forcé plus d’une fois de jouer des jambes devant la fusillade qui dispersait rudement les fauteurs de désordre. La lanterne magique le rendit enfin à un grand journal, la Tribune.

Il montait en grade. Ceux-là mêmes qui ne savent pas que la Tribune de New-York fut longtemps, de l’avis des meilleurs juges, l’une des forces vives de la nation, se font d’elle une haute idée par le seul aspect de ses étages, lorsqu’on leur montre, au milieu du groupement d’orgueilleux édifices à dômes, à clochers, à