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obligent. Et d’abord la sécurité : isolée au milieu d’immenses plaines, une famille d’une douzaine de personnes, comprenant tout au plus trois hommes en état de porter les armes, serait incapable de se défendre contre les attaques de jour et de nuit des vagabonds et des voleurs ; il est évident que plus on remonte en arrière, plus les agglomérations de familles sur un même point devaient être nombreuses ; et, lorsqu’on traverse aujourd’hui les régions peuplées, et par conséquent plus sûres, on y est frappé de la dispersion de plus en plus grande des tentes et des gourbis. De cette nécessité de protection mutuelle est résultée souvent une communauté d’intérêts. Mais c’est surtout aux difficultés de la culture qu’il faut attribuer le régime de la collectivité ; la nature ingrate du sol oblige à un travail souvent pénible et demande le concours de tous les membres de la famille, pendant que les hommes labourent, les enfans gardent le bétail ou aident les femmes aux travaux de la tente. Cette organisation très avantageuse, permet d’éviter l’emploi de salariés et diminue singulièrement la valeur de la main-d’œuvre ; en outre, cette association naturelle assure à chacun de ses membres des secours en cas de maladie ou d’indigence. La constitution spéciale de la famille arabe oblige nécessairement à une sorte, de communauté ; grâce à la polygamie et aux nombreux divorces successifs, à la mort du père de famille, il existe souvent de grandes différences d’âge entre les frères consanguins : l’aîné est déjà un homme de trente-cinq ans, que le plus jeune, âgé de cinq ans à peine, serait incapable de cultiver sa portion d’héritage sans le secours de sa famille et la direction de son chef. De là une nouvelle cause, très puissante, de maintien de l’indivision. Ce régime n’est-il pas d’ailleurs celui qu’on retrouve au début de toute société ? Que l’on envisage les mœurs des Gaulois et des Germains au moment de la conquête romaine, celles des Hébreux après le retour d’Egypte, ou même celles des indigènes de l’Afrique du Nord, au temps de Massinissa, on est frappé de l’existence de la propriété collective et de la vie familiale, la plupart du temps sous l’autorité du père de famille ou de l’homme le plus âgé. Que l’on jette les yeux sur Rome à son origine ; si chacun des membres de la communauté familiale n’a pas sa part de propriété, c’est qu’il n’est lui-même que la chose du père, qui résume en lui seul tous les droits de la famille entière, et qui commande à tous ses membres dans l’intérêt commun. De nos