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seulement on trouvait encore, lors de la conquête, une sorte de possession collective : c’était dans la province de Constantine, où le gouvernement turc (beylick) avait accordé à certaines tribus la jouissance de terres dites « azels. » Ces concessions faites à l’ensemble de la tribu étaient réparties entre les familles par les caïds ou aghas, qui tenaient ainsi dans leurs mains le sort de leurs administrés ; sauf ce pouvoir absolu, conféré à une seule personne, et qui devenait la source d’abus et d’exactions de toute sorte, ce régime n’était pas sans analogie avec la propriété collective des pays slaves et notamment avec le mir russe.

Enfin, dans quelques parties du Tell, notamment aux abords des villes, dans la Mitidja, et dans tout le massif montagneux de la Kabylie, on constatait, dès les premiers temps de notre occupation, l’existence de la propriété privée qui avait reçu le nom de « melk. » Sans doute ces terres n’étaient pas dans une condition juridique analogue à celle de la propriété française : les unes avaient à supporter des droits d’antichrèse ; d’autres, des affectations religieuses de diverses formes (habous), mais elles n’en étaient pas moins classées sous un régime quasi européen.

L’Algérie, en raison même de sa configuration géographique, présentait donc, il y a quelques années encore, le tableau résumé de la gradation admise par certains économistes entre l’état primitif et la conception moderne de la propriété. En premier lieu, le régime pastoral ; ensuite, propriété collective ; propriété individuelle grevée de charges perpétuelles ; el, enfin, propriété privée libre.

Il y aurait une longue étude à faire sur les diverses modalités qu’affectait chacun de ces états, car aucun pays ne présente autant de différences de tribu à tribu que le Nord de l’Afrique ; mais il suffit au dessein que nous poursuivons d’une indication rapide. D’ailleurs, bien qu’on ait longtemps admis une opinion opposée, il est maintenant reconnu que le nomadisme ne constituait, même avant 1830, qu’une exception assez restreinte et, par conséquent, on peut sans inconvénient négliger tous les régimes autres que celui de la propriété familiale et de la propriété individuelle. Il ne paraît pas non plus nécessaire de rentrer dans les polémiques interminables sur la question de savoir quel était, au point de vue du droit musulman, le véritable propriétaire du sol de la Régence, lors de la prise d’Alger. D’après les uns, la terre appartenait exclusivement au