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Ce fut sur le ministre, l’amiral Hollmann, que retomba d’abord tout le poids de la lutte. Il présenta un programme de constructions neuves où de grands cuirassés et de grands croiseurs figuraient. Mais le Parlement, encore imbu des idées de M. De Caprivi, résista à tous les discours et refusa énergiquement son vote. La marine lui paraissait un luxe. Il lui suffisait de savoir que le littoral était bien gardé et bien détendu. Son opinion était si absolue sur ce point que, malgré les efforts de l’Empereur, on ne put, en l’espace de sept années, lui arracher que l’autorisation de mettre en chantier huit vaisseaux de ligne : les Kaiser Wilhelm et les croiseurs Herta. L’amiral Hollmann, découragé, se retira.

L’amiral de Tirpilz fut appelé à lui succéder. Celui-ci, dès son début, se montra un parlementaire de premier ordre. Sa réputation s’était accrue encore, depuis son passage à la direction des torpilles, par la manière brillante dont il avait commandé l’escadre des croiseurs. Il arriva avec un programme nouveau de constructions, bien plus complet que celui de l’amiral Hollmann, et s’attaqua de front à la majorité du Reichstag. Il l’étonna par son audace et la séduisit par son habileté. En même temps il fit agir la presse, répandit des articles innombrables dans tous les journaux, chercha à intéresser le public à sa cause, à convertir à ses idées l’Allemagne entière. Dans une interminable série de publications et de discours, il s’attacha à montrer la nécessité de protéger, à l’aide d’une flotte redoutable, le commerce maritime dont l’importance augmentait tous les jours ; il évoqua le spectre de l’Angleterre, qui, lorsqu’un conflit facile à prévoir éclaterait, pourrait bloquer les ports allemands, détruire la marine marchande, affamer et ruiner le pays. Aux hommes du métier, il parla le langage technique ; aux hommes politiques, celui du bon sens. Bref, le Centre, qui jusque-là avait résisté avec le plus d’entêtement, capitula. Son leader, M. Lieber, consentit à se charger du rapport sur le projet de loi ministériel, qui fut voté à une majorité considérable. Ce n’était pas, certes, une petite dépense : il s’agissait de la construction de 19 vaisseaux de ligne, de 8 gardes-côtes, de 12 croiseurs et de l’achèvement de 7 vaisseaux et de 2 croiseurs. Cette première victoire valut à M. De Tirpitz d’être nommé ministre d’État. Ce titre lui donnait le droit de voir l’Empereur sans demander audience et en l’absence de ses collègues.

Mais, dans la pensée de M. De Tirpitz, ou plutôt dans celle de