Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 14.djvu/573

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

causa ne furent, à la vérité, pas considérables : il prit un brick chargé de farine pour la 3e division militaire, une grande barque, quelques bateaux de pêche. Mais sa seule présence jeta l’inquiétude dans les esprits, le désordre et la terreur dans tous les ports du littoral. On fut obligé d’envoyer des forces sérieuses à sa recherche et, prisonnier dans la baie de Vigo, il immobilisa, jusqu’à la paix, deux gros navires de guerre chargés de le surveiller. Si l’Allemagne avait eu alors à sa disposition plusieurs bâtimens du même genre ; si elle avait pu organiser la course d’une façon sérieuse, peut-être le dénouement du conflit eût-il été singulièrement modifié et accéléré. Notre ravitaillement en vivres, en munitions et en argent, qui se faisait par l’Angleterre et l’Amérique, eût été rendu impraticable. La France, deux ou trois mois plus tôt, eût été réduite à capituler. La guerre de course n’est donc pas aussi inutile que plusieurs écrivains affectent de le prétendre. Elle peut avoir, dans certains cas, une influence décisive sur la marche des événemens. Personne n’a oublié l’exemple fameux de la guerre de Sécession. Le seul petit Alabama a fait plus de tort aux États-Unis et à la cause fédérale que tous les Merrimacs des États confédérés.

C’est seulement la paix conclue que la marine allemande commença à prendre tout son développement. L’éclosion fut, pour ainsi dire, subite. La guerre, encore une fois, avait montré toute l’étendue du péril naval ; combien il était indispensable d’armer les côtes ; combien il était urgent de se défendre contre les blocus qui, en interdisant toute communication avec le dehors, suspendaient la vie continentale ; à quel degré il était nécessaire de conserver libres les chemins de la mer. Sur ces différens points, l’accord se fit unanime. Cependant, ce ne fut pas sans de longs débats, sans d’âpres discussions, que la question se trouva résolue et que la cause de la marine triompha. À ce moment, la lutte s’engagea entre l’élément militaire, toujours imbu des idées de Frédéric II, qui persistait à vouloir imposer à la flotte une tâche secondaire et effacée, et l’élément maritime qui, conscient de son importance, réclamait hautement le droit à l’offensive, un rôle égal à celui de l’armée de terre dans la défense nationale.

Un fait capital marqua le commencement des hostilités. Ce fut M. De Moltke lui-même qui, au lendemain de ses victoires, accorda à la marine une première satisfaction dont ses propres