Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 14.djvu/565

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’idée dominante d’alors, inspirée par l’improvisation de Frédéric, était que le rôle de la marine de guerre devait se borner à la protection immédiate des rades, des ports et encore des points stratégiques où, sur les côtes de la Baltique ou de la mer du Nord, un débarquement de troupes ennemies paraissait possible. On ne lui reconnaissait, d’autre fonction qu’une collaboration modeste avec les batteries déjà établies sur le littoral. Cette conception était surtout préconisée par les militaires de l’armée de terre, dont l’influence se trouvait alors prépondérante. En Prusse, comme chez beaucoup de nations de l’Europe, une rivalité inévitable existe entre les soldats et les marins. Les premiers, qui, généralement, ont plus d’autorité sur les conseils du gouvernement, cherchent, autant que possible, à diminuer la part des seconds, à réduire l’importance des services qu’ils peuvent rendre. Une pareille tendance est purement instinctive et s’allie très bien au patriotisme le plus ardent. Elle résulte du désir très noble de bien servir le pays et, pour ainsi dire, de monopoliser le danger. Il était naturel que les généraux y cédassent. Mais si, au commencement du siècle, ils avaient des motifs sérieux pour condamner la marine à n’être qu’une auxiliaire, il n’en fut pas de même plus tard, lorsque M. De Moltke enleva la défense des côtes à l’armée pour la confier aux marins ; et lorsque Guillaume II plaçant, enfin, un amiral à la tête du Reichs-marine-amt, construisit ses escadres de croiseurs et de cuirassés.

C’est seulement en 1848 que commence véritablement l’histoire de la marine allemande. À ce moment, le Schleswig-Holstein révolté a demandé à faire partie de la Confédération germanique ; les Danois bloquent tous les ports de la mer du Nord et de la Baltique. L’Allemagne impuissante se sent, à la fois, menacée et humiliée. Les orateurs, les publicistes réclament avec énergie l’achat ou la construction de navires de guerre ; on commence, dans le public, à comprendre de quelle utilité peut être une marine militaire, à quelle infériorité son absence condamne une nation. La leçon de choses que reçoit le pays est concluante. L’ennemi, qu’on ne peut atteindre, y arrête net l’activité et la vie. À l’Assemblée de Francfort, c’est une explosion : dès qu’une suspension d’armes permet d’organiser un peu la défense, la création d’une flotte nationale est votée d’enthousiasme. On n’a que quelques mois pour exécuter ce grand projet ; mais, aussitôt, on se met à l’œuvre.