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De George Sand, elle n’a point le lyrisme romantique, la faconde intempérante, la paysannerie souvent affectée. Elle ne lui ressemble que pour la facilité de sa production, don inappréciable quand on n’en abuse pas, et qu’on en sait les dangers : couchée tôt, levée tard, Grazia Deledda ne travaille que deux heures par jour. Faut-il chercher ailleurs des termes de comparaison qui nous aident à définir la nature de son talent ? Le charme délicat et profond des romans de M. René Bazin peut seul donner quelque idée du genre d’émotion qu’elle communique, et de la façon dont elle rend sensible la vie de ses héros. Mais à quoi bon ces rapprochemens ? N’ayant rien emprunté à personne, elle ne ressemble qu’à soi. La diversité même de ses aptitudes, la complexité de son œuvre, cependant si lucide et si simple, rendent malaisé de l’enfermer dans une formule. Et quand j’aurai rappelé l’attrait de son exotisme, qui n’est que le coloris sincère du plus large réalisme qui soit ; — cet intime mélange de la nature et de l’homme ; — cette faculté créatrice de faire vivre les personnages d’une vie totale et de répandre le mouvement dans leur ensemble sans nuire à la clarté du récit ; — cette passionnante et multiple étude de l’amour, tant de fois répétée et toujours nouvelle, intense et brûlante, et pourtant saine et chaste, — je vois bien que j’aurai énuméré à peu près les élémens de ce jeune génie déjà florissant, mais je sens que je n’aurai pas dit la séduction qui en résulte, la beauté naïve et candide qui se forme de tous ces dons.


E. HAGUENIN.