Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 14.djvu/425

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus seulement une passion vulgaire et générale : il est le grand mystère de la famille, à la fois nécessaire et redoutable, et, à cause de cela, poétique. Et quels que soient en effet ses caractères moraux, honnête ou coupable, il grandit, et ses conséquences grandissent avec lui, en proportion de la solidité et de la noblesse du lien familial, qu’en tout cas il tend à former et qu’il détruit. Cette puissance étrange de l’amour, dont on ne sait jamais s’il est mauvais ou bon, de l’amour qui attire et qui effraye, de l’amour maître des douleurs et des joies, maître des rêves, la jeune fille l’entrevoyait dès son premier livre ; et dès lors elle a trouvé la veine de ses sujets, le point de vue de tous ses romans, l’inspiration de ces idylles chaudes et farouches, — pures pourtant et délicates comme les idylles antiques, à cause de cette sorte de respect inquiet, de vénération religieuse, de craintive sympathie, que la préoccupation et l’indécision morales de l’écrivain répandent autour d’elles.

C’est l’amour qui est « la voie du mal » dans le roman qui porte ce titre (La Via del Male), et dont on ne saurait trop admirer la solide structure et la marche émouvante, quand on songe qu’il est l’œuvre d’une femme qui n’avait pas vingt-trois ans. Mais combien, dans le coupable, l’auteur nous fait voir plutôt une victime ! Après avoir passé par les émotions amoureuses du laboureur Pietro Benu épris de la fille de ses patrons, et partagé ses longs chagrins quand l’hiver l’exile loin de sa maîtresse dans les terres qu’il doit cultiver, qu’il nous est difficile de ne point comprendre l’écroulement de sa conscience lorsque Maria, par orgueil, se laisse fiancer au riche Rosana ! Hélas ! l’amour bien décrit sera toujours approuvé, et les sympathies qu’il conquiert viennent trop de tout l’être, et du fond de l’être, pour ne lui point rester fidèles. Nous l’avons vue, nous l’avons sentie naître, cette passion, quand Pietro, en présence de Maria, hésitait entre les pensées tristes et une sensation indéfinie de bien-être. Nous l’avons vue se concilier peu à peu les meilleurs sentimens de cette âme naïve : « Comme elle était belle. Maria, la tête nue ! Qu’elle devait être modeste et bonne ! » Nous l’avons vue se nourrir de toutes les impressions qui viennent du hasard et des choses, du silence du ciel d’automne, du gris rosé de l’aube, des vapeurs violettes du soir, de la musique et des paroles des chansons d’amour, de toutes les occupations domestiques ou rurales qui rapprochent la jeune maîtresse et l’ouvrier, de leurs habitudes