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IX

Si jadis un sentiment sincère avait pu se joindre aux conseils de l’ambition et de l’intérêt pour jeter Louise de Kéroualle dans les bras de Charles II, il y avait longtemps que les infidélités de son amant et l’influence corruptrice de la vie de cour avaient émoussé ce que pouvait contenir d’amour et de fidélité le cœur de la duchesse de Portsmouth. Avait-elle jusque-là trahi positivement l’attachement que lui gardait le monarque ? En l’absence d’autres témoignages que les vagues imputations de ses ennemis, nous croyons que le sentiment de son intérêt, celui de sa dignité et une certaine froideur qui la caractérisaient purent la protéger contre les galanteries ordinaires de la cour des Stuarts. Mais il était écrit que si même elle avait résisté jusque-là, ce qu’il serait au moins téméraire d’affirmer avec trop d’assurance, elle n’échapperait pas à cette crise sentimentale si souvent observée, où succombent entre trente et trente-cinq ans tant de femmes privées d’amour et qui, au déclin de leur jeunesse, s’y précipitent soudain avec une sorte d’ardeur désespérée.

Il y avait plusieurs années déjà que la duchesse de Portsmouth connaissait Philippe de Vendôme, grand prieur de France. Né en 1655, plus jeune qu’elle de six ans par conséquent, deuxième fils du duc de Vendôme et de Laure Mancini, c’était un seigneur de beau visage et d’esprit distingué. Divers incidens peu honorables pour son courage donnent à penser que son caractère n’était pas à la hauteur de ses manières. Mais il avait tout le don de plaire des Mazarin et la galanterie du Béarnais. A plusieurs reprises déjà, il avait paru à la cour d’Angleterre et s’était montré assidu auprès de la duchesse de Portsmouth. Ses empressemens furent plus remarqués encore pendant le voyage de France : « Dernièrement, note la Gazette, dans une de ses visites en lui disant des honnêtetés, il dit que s’il voulait se marier, il voudrait avoir une femme qui lui ressemblât et elle dit que si elle se mariait elle voudrait avoir un homme fait comme lui. Un seigneur anglais qui était présent prit la parole et leur dit qu’il ne le leur conseillait pas, car ils perdraient chacun leur bénéfice. » Le souvenir du galant prieur ne fut sans doute point le plus désagréable que la duchesse rapporta de la cour de Louis XIV. Il vint la retrouver au Angleterre l’année suivante