Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 14.djvu/383

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

saluer. Monsieur se présenta chez elle en personne. Sa visite à Saint-Germain faillit soulever un conflit, les gardes n’ayant pas reçu l’ordre de la laisser entrer. Elle alla voir Madame du Lude, sa compagne de jadis, devenue abbesse de Bellechasse, l’embrassa fort tendrement et s’entretint une heure avec elle. Rien n’est pareil, dit Saint-Simon à l’accueil quelle reçut, « jusque-là, qu’étant allée un jour de grande fête aux Capucins de la rue Saint-Honoré, ces pauvres religieux qui en furent avertis sortirent processionnellement au-devant d’elle et la jetèrent dans une étrange confusion. »

Vers la fin d’avril, elle quitta Saint-Cloud et elle alla passer quelques jours dans sa terre d’Aubigny. Son père était venu la voir à Paris. Elle le retrouva, ainsi que sa mère, dans cette propriété où leurs revers de fortune les avaient obligés à se réfugier. De là, vers le milieu de mai, elle gagna avec sa sœur les eaux de Bourbon où il y avait grand afflux de monde élégant ; elle y fit « une effroyable dépense » et éclipsa par son luxe les plus magnifiques. Ensuite elle repassa par Paris ; lui mandant des nouvelles de Charles II, Preston s’excusait de ne pouvoir lui baiser la main ; en Bretagne, où elle demeura quelques jours, elle négocia, avec d’autres acquisitions, le rachat de la terre de Kéroualle dont ses parens avaient dû se défaire. Puis elle reparut à la cour, où derechef on s’empressa de « fort bien la régaler. » « Elle fut dimanche dans le carrosse de la reine, » note respectueusement la Gazette du 5 juillet ; et elle ajoute : « M. de Croissy-Colbert, son ancien ami, lui donna lundi un magnifique repas. » Les mésintelligences d’autrefois étaient oubliées dans cette apothéose.

Renonçant à faire une nouvelle cure quoiqu’elle eût été peu satisfaite de la première, la duchesse rentra à Londres vers la fin de juillet 1682, moins de cinq mois après son départ. Le bruit des honneurs dont elle avait été l’objet sur le continent avait accru encore son crédit. « Elle paraît, note Barillon, avoir plus de crédit et de considération qu’elle n’a encore eu. Il y a une étroite liaison entre M. le duc d’York et elle. »

C’est qu’elle est enfin arrivée à réaliser le but suprême de son ambition politique et personnelle. Elle a noué avec le roi de France ces relations directes auxquelles elle aspirait depuis si longtemps et qui vont lui permettre de consacrer l’union intime des deux souverains.