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On sut en juillet que les statistiques du Conseil suprême accusaient 3 474 conversions à l’Eglise évangélique ; même en joignant ce chiffre au total des engagemens personnellement recueillis par M. Schœnerer, on était loin du dixième mille. La manifestation souhaitée avait échoué. M. Schœnerer fit tranquillement son entrée dans l’Église évangélique, au cours de 1900, et projeta pour 1901 une exhibition nouvelle. Son groupe, par suite d’élections récentes, comptait au Parlement 21 membres ; un certain nombre vivaient encore sous le joug romain. M. Schœnerer voulut qu’en bloc ils se fissent protestans ; sinon, ils ne seraient plus membres effectifs du groupe. L’Eglise évangélique devenait ainsi l’antichambre d’un parti : le baptême qu’elle conférait, et qui, quatre siècles durant, avait fait le chrétien, ferait désormais le député pangermaniste. Mais avant qu’elle eût eu le temps ou la hardiesse de protester, les députés visés protestèrent : réunis à Bodenbach, ils expliquèrent que les questions de conscience et celles de politique n’avaient rien de commun. Deux d’entre eux, qui dirigeaient des écoles peuplées de petits catholiques, et qui, d’après la loi, eussent dû renoncer à la direction de ces écoles s’ils avaient appartenu à une autre confession que la majorité de leurs élèves, avaient des raisons personnelles pour taxer M. Schœnerer d’importun. Il abdiqua sa prétention, cacha son mécompte et, s’attristant toujours davantage du « ferment d’infection que le judaïsme chrétien avait déposé dans la pensée germanique, » il se désintéressa peu à peu des questions d’Eglise. La Ligue évangélique ne le regretta point : elle se pouvait passer de lui.

Pendant que M. Schœnerer guettait la mobilisation des âmes et que le Conseil suprême élevait la voix contre cette parade, la Ligue évangélique inondait l’Autriche de ses brochures. On calculait, en mars 1899, que déjà 1 642 000 opuscules avaient passé la frontière. Il y en avait de tout ordre : quelques-uns, dont on n’abusait point, étaient destinés aux âmes pieuses ; il en était d’historiques, qui rendaient hommage à l’Eglise évangélique d’Autriche comme à une Eglise de martyrs, et qui redisaient les procédés violens par lesquels les anciens Habsbourg, les dragons de Liechtenstein, l’évêché de Salzbourg, avaient refoulé la Réforme ; il en était de politiques, qui expliquaient que le germanisme n’eut pas de meilleur appui que la Prusse protestante, pas de colons plus fidèles que les protestans allemands