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une besogne. Mécontens d’une dynastie dont l’ancien « chevalier de Schœnerer, » devenu « M. Schœnerer » à la suite d’un procès, croyait avoir à se plaindre ; mécontens d’une capitale qui avait préféré l’antisémitisme de M. Lueger à l’antisémitisme de M. Schœnerer, ils cherchaient vengeance en sonnant le glas de l’Autriche[1]. On a déjà vu des Chambres braquer contre des palais royaux l’artillerie de leurs sarcasmes ; mais les pangermanistes d’Autriche furent les premiers parlementaires du monde entier qui eussent conçu l’audacieuse pensée de préparer au grand jour, dans un parlement, la destruction, non point seulement de la dynastie, mais de l’Etat lui-même, et de se considérer, ou peu s’en faut, comme citoyens de l’Empire voisin. L’Europe centrale, pour M. Schœnerer, se résumait en deux forces : d’une part, la « puissante bâtisse allemande créée par Bismarck ; » d’autre part, « une Autriche complètement slavisée ; » et l’ « agitation cléricale » se servait de cette Autriche pour « saper » cette bâtisse. A la date du 16 novembre 1898, les Paroles allemandes non falsifiées (ainsi s’intitule la Revue de M. Schœnerer) jetèrent au cléricalisme le suprême défi : « Rompons les chaînes qui nous rattachent à une Eglise ennemie des Allemands. Ce n’est pas l’esprit jésuitique, mais l’esprit germanique, qui doit régner en terre allemande. »

Il fallait donc quitter Rome : M. Schœnerer, plus discret que l’étudiant Fodisch, ne se prononçait encore pour aucune autre Église. Ce n’était point un apôtre proposant une conversion, c’était un mécontent sollicitant un déchirement. Le tout était de prendre congé de Rome : les consciences, ensuite, éliraient domicile où elles le voudraient, voire même à la belle étoile, consciences laïcisées, consciences libres.

Il fait froid à la belle étoile, pour la masse des âmes : le vieux-catholicisme s’offrait, pour leur épargner un grelottement. Fondé en Allemagne, au lendemain du concile, par quelques professeurs de science respectable, il avait d’abord obtenu les sourires de Bismarck ; mais le chancelier vit venir l’échec ; de complaisant, son sourire se fit dédaigneux ; et l’Eglise vieille-catholique, dans l’empire d’Allemagne, ne fut plus qu’un Verein

  1. On peut consulter, sur cette action radicale et pangermanique, les deux livres de M. André Chéradame : l’Europe et la question d’Autriche au seuil du XXe siècle ; — l’Allemagne, la France et la question d’Autriche. Paris, Plon, 1901 et 1902.