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engagement pris envers nous par les Puissances neutres et même comme une « consécration du changement de règne. » Puis, en développant sa pensée, il annonçait ce que nous devions précisément dissimuler jusqu’au bout, à savoir notre intention d’introduire nos affaires devant la réunion européenne. Il s’écriait avec une inopportune éloquence : « Qui ne sent qu’admise en face des représentans de l’Europe, la France a droit d’y élever la voix ? Qui pourra l’arrêter lorsque, s’appuyant sur les règles éternelles de la justice, elle défendra les principes qui garantissent son indépendance et sa dignité ? » Ainsi la faute était complète : nous inquiétions les Cours par un commentaire équivoque de leur attitude à notre égard ; nous prévenions M. de Bismarck et elles-mêmes de notre ferme volonté de forcer le programme de la Conférence ; nous mettions les Cabinets en garde contre une émotion qui n’eût été vraisemblable que si elle eût été imprévue ; nous provoquions l’opposition du Chancelier, et nous lui fournissions le prétexte qu’il attendait pour nous empêcher de paraître à Londres. Il s’empressa de le saisir. Certain qu’après une telle manifestation de nos vues incorrectes, aucune Puissance n’insisterait pour la délivrance du sauf-conduit que nous avions demandé, il le refusa catégoriquement et même en termes discourtois, faisant allusion dans sa réponse au ministre « à la situation » que celui-ci « avait contribué à aggraver. » Il aurait dû sans doute éviter ce dernier mot, mais il ne se trompait pas en cette circonstance. Nous avions, en effet, laissé échapper notre dernière chance d’exercer quelque influence sur la politique des neutres, et M. Jules Favre n’avait jamais mieux montré à quel point il était peu diplomate.


VII

Lorsque j’examine aujourd’hui, dégagé des illusions d’alors et avec l’expérience des années, cet épisode diplomatique[1], je reconnais sans doute que nous nous exagérions la portée pratique des efforts que notre plénipotentiaire eût tentés à Londres. En ceci, comme en tout, nos espérances étaient excessives, et

  1. On sait que ce fut seulement après la conclusion de la paix que le duc de Broglie, nommé par M. Thiers ambassadeur à Londres, assista à la dernière séance de la Conférence, où il apporta pro formâ notre adhésion à la Convention qui abrogeait la clause du traité de Paris relative à la navigation de la Mer-Noire.