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son tour ce qui dépend de lui pour ramener le calme dans les esprits. En un mot, c’est au Sultan à introduire des réformes en Macédoine, et, comme on ne peut guère compter sur son initiative, c’est aux grandes puissances à le conseiller. Elles l’ont fait, et nous souhaitons que leurs conseils, dont le Sultan a immédiatement apprécié la modération et la sagesse, apparaissent effectivement aussi sages, c’est-à-dire aussi efficaces, qu’ils sont modérés.

Il était naturel que le programme des réformes fût rédigé par la Russie et par l’Autriche, qui sont le plus directement intéressées au bon ordre dans les Balkans ; et comme leur propre rivalité y est quelquefois un élément de trouble, il importait qu’elles se missent avant tout d’accord. On peut dire que le programme qu’elles ont arrêté est un minimum. Il est resté sensiblement en deçà dos réformes qui avaient été indiquées dans le Livre Jaune français, réformes dont nous avons parlé il y a quinze jours, et qui n’avaient elles-mêmes rien d’exagéré. Si nous les rappelons aujourd’hui, c’est parce que la publication du Livre Jaune parait avoir produit en Allemagne une irritation assez vive, sinon dans les sphères gouvernementales, au moins dans la presse ; mais la presse en Allemagne prend souvent ses inspirations en haut lieu, et, lorsqu’elle parle avec une certaine unanimité, il n’est pas téméraire de croire qu’elle ne le fait pas avec une spontanéité absolue.

La presse germanique a donc été particulièrement amère et acrimonieuse à l’égard de notre ministre des Affaires étrangères, M. Delcassé. Elle lui aurait volontiers demandé de quoi il se mêlait. A notre avis, il ne se mêlait que de ce qui le regardait. Il s’est borné d’ailleurs à reproduire les dépêches de nos agens, et à donner à ceux-ci son opinion personnelle sans l’imposer à personne autre. Mais il aurait été désirable que cette opinion fût plus complètement partagée. Cela serait arrivé sans doute si le programme des réformes avait été dressé par deux puissances dont les intérêts auraient été moins divergens que la Russie et l’Autriche, et si derrière l’Autriche il n’y avait pas eu l’Allemagne, l’Allemagne qui a déclaré à maintes reprises par la bouche de M. de Bismarck combien elle faisait fi des considérations d’humanité dans la politique orientale, et qui ne paraît pas avoir depuis changé d’opinion. On croit généralement en Europe que le programme initial de la Russie était plus développé que celui de l’Autriche, et que c’est sur lui qu’ont porté les réductions d’où est sorti le programme é mondé qui a été finalement soumis au Sultan. La France, de même que les autres grandes puissances, était d’autant plus libre