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Lui s’est rendu coupable d’un tort grave. Votre esprit d’équité vous porte à en convenir vous-même. Mais, surtout, lui m’a montré une absence de cœur, de simple pitié qui reste bien avant dans mon âme. Vous, vous avez été de nouveau pour moi ce que je vous disais en descendant, pour la dernière fois, l’escalier de ce triste hôtel Ostermann, dans cet affreux moment où je vous parlais pour la dernière fois, dans ce moment où je montais en voiture pour suivre le convoi d’un de mes enfans et précéder l’autre ; vous avez été pour moi un père, un frère, un mari. Vous le resterez toujours, n’est-ce pas ? »

Ce témoignage de gratitude porte la date du 23 décembre 1837. Le prince de Liéven venait alors d’arriver à Naples, convaincu par les dires de son fils de la sincérité des motifs que sa femme avait opposés à ses ordres. C’est de là que, presque à la même date, il écrivait à l’Empereur :

« ... Il m’est très pénible. Sire, de n’avoir pas à annoncer à Votre Majesté un résultat également satisfaisant quand au second objet qu’Elle a bien voulu commettre à mes soins. Néanmoins, je vous supplie de croire, Sire, que je n’ai négligé aucun moyen de persuasion auprès de ma femme ; que mes instances ont été répétées et suivies même de mesures compulsives auxquelles notre union depuis trente-sept ans n’avait jamais donné lieu. Elle s’est empressée de porter directement à la connaissance de Votre Majesté Impériale les raisons qui la mettaient hors d’état d’obtempérer aux ordres qui lui avaient été signifiés par ma voie. Me reposant sur la rectitude de son caractère, autant que sur son constant attachement, il me répugne de douter de ses protestations, ni de croire qu’elle n’eût fait son possible pour obéir à deux volontés également sacrées à ses yeux. »

Tel paraît avoir été le dernier mot de ce pénible débat. La princesse de Liéven peut enfin se fixer définitivement à Paris ; sa rupture avec son mari est complète ; elle ne le reverra pas. Ni l’Empereur ni lui n’insistent plus pour qu’elle rentre en Russie. Ce qui lui vient encore de son pays ne saurait maintenant ni l’affliger ni l’irriter. Ses désirs ne rencontrent plus d’obstacles. Elle peut vivre à son gré, et le tableau qu’elle trace de l’existence qu’elle s’est faite démontre combien cette existence lui plaît.

A travers ce tableau elle dresse d’un crayon délicat la silhouette de quelques-uns des habitués de son salon :