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l’ambassadeur russe, lady Granville l’ambassadrice d’Angleterre, et Guizot, elle adresse au tsar une supplique ; elle écrit au comte de Nesselrode et au comte Orloff ; elle les adjure de s’entremettre pour fléchir la rigueur dont elle est victime. Elle prie de même son frère :

« Vous souvenez-vous d’une promenade dans votre drowsky, l’année 33 à Péterhoff, où, en me parlant de mon mari, vous me disiez :

« — Si jamais votre mari vous menaçait, référez-vous à moi ; je suis là pour vous protéger. »

« Le moment est venu ; protégez-moi. » Elle lui raconte par le menu les avanies dont elle est abreuvée. Elle lui déclare qu’elle ne bougera pas, « qu’on n’obtiendra rien d’elle. » Voyager, c’est m’exposer à la mort. Je ne donnerai pas à mon mari la honteuse satisfaction d’aller dire à l’Empereur :

« — Sire, je vous ai obéi, ma femme est morte. »

Avant qu’elle connût le résultat de ses démarches, son fils Alexandre arriva chez elle à l’improviste. Il était envoyé par son père pour donner à sa mère « des éclaircissemens intimes sur la volonté absolue de l’Empereur et les suites funestes auxquelles elle s’exposait en restant à Paris… Mon mari avait donné l’ordre à son fils de m’emmener, fût-ce au détriment de ma santé. » Alexandre, après avoir causé avec le médecin de sa mère, renonça à exécuter cet ordre inhumain. « Ce que le médecin lui a dit a tellement effrayé notre pauvre fils que, si je voulais partir, il se refuserait à m’accompagner. »

Entre temps, elle recevait la réponse de son frère. Affligée de n’y trouver, au lieu de l’autorisation définitive qu’elle avait sollicitée, que des phrases évasives, elle discutait une à une les objections qui lui étaient faites et qu’elle devinait suggérées par l’Empereur. Ses argumens restaient toujours les mêmes : sa santé pitoyable, l’avis des médecins, la vie retirée qu’elle menait. Comme elle croyait comprendre que l’Empereur lui imputait à grief d’avoir un salon politique, elle se défendait en définissant le caractère des réunions qui se tenaient chez elle chaque soir. Un salon politique, quelle erreur !

« Oui, des personnages politiques y viennent, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus distingué en esprit dans les divers partis, et cela encore se réduit à cinq Français : M. Molé, M. Guizot, M. Thiers, M. Berryer et le duc de Noailles. Vous voyez qu’il y en a de