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« Mon mari m’a quittée à Wogelsdorff où j’ai trouvé les équipages de la duchesse de Cumberland qui m’ont conduite à Berlin ; elle m’avait fait préparer un appartement dans l’hôtel du prince Frédéric de Prusse, son fils. Elle m’y attendait et ne me quitte pas. Je suis arrivée vivante, c’est tout ce que je puis vous dire de plus triste pour mon compte, car, cher, cher frère, combien la mort me serait douce. Comment croyez-vous possible que je vive avec une douleur pareille dans le cœur, et sans vivre dans le monde pour m’en tirer ou m’en distraire ? Mon chagrin augmente tous les jours. C’est vrai ce que je vous dis là ; il est plus poignant aujourd’hui qu’il ne l’était hier, et dans cette progression-là, que peut être mon avenir ? Si vous priez Dieu pour moi demandez-lui de me retirer de cette terre ; demandez-lui de me réunir à mes anges.

« Ma séparation d’avec mon mari a été cruelle pour tous les deux. C’est bien dur, bien dur, cher frère, de se séparer dans un pareil moment et avec la certitude de ne plus se revoir. Pauvre mari ! quel triste voyage que celui qu’il a fait avec moi ! Quel triste voyage que celui qu’il fait seul maintenant ! Quelle tragédie complète que tout ce qui nous regarde ! Je suis un objet de pitié et je me suis prise en horreur. Adieu, mon frère, mon bon frère. Je suis exténuée. »

A Berlin un grand bonheur attendait Mme de Liéven. Elle y retrouva Paul, son troisième fils, le plus jeune de ceux qui lui restaient. « Sa vue m’a donné un instant de bonheur ; il est bien touché, bien tendre, bien soigneux, bien anxieux pour sa pauvre mère. Je l’aime bien, Paul ; vous savez que, désormais, c’est ce que j’aime le plus. Mais, notre réunion sera courte et je sais trop que je ne peux rien pour lui. Pauvre Paul ! Il pleure en me regardant. Je suis bien faible, l’excitation de mes nerfs m’avait soutenue pour arriver ici. Mais tout cet affreux passé et les fatigues du voyage ont fait qu’une fois au repos, la nature s’est vengée et je suis épuisée, anéantie. »

Cependant, elle recevait les personnes qui « pouvaient l’intéresser. » Parmi les visiteurs, elle cite le ministre prussien Ancillon, le prince de Wittgenstein, M. de Ribeaupierre, ministre de France : la duchesse de Cumberland l’environnait de sa sollicitude, et se faisait un devoir de ne pas la quitter. « L’intérêt des affaires publiques est encore quelque chose pour moi ; je suis donc distrayable. Mais, nécessairement, c’est court, cela s’évanouit