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ne faisait que des citations de Machiavel, de jésuites et de biographes italiens. Il posait à ce moment pour l’ambitieux sans scrupules, touchant du piano à ravir, et était, à cause de sa beauté et de son habileté, fort dangereux pour les dames à qui il faisait la cour. Il avait commencé de bonne heure à perfectionner cette habileté innée : étant élève du lycée de Neustettin, il avait fait son apprentissage dans la société des actrices d’une troupe ambulante, dont il remplaçait, en jouant du piano, l’orchestre absent...

Le 23 août 1871, il fut, sur ma proposition, nommé ministre plénipotentiaire, puis ambassadeur à Paris, où, malgré ses défauts, j’espérais, dans l’intérêt du service, tirer parti de ses hautes aptitudes ; mais il ne vit dans sa nouvelle position qu’un marchepied d’où il pourrait travailler avec plus de succès à m’écarter et à me remplacer... Dans une de mes communications, il est fait mention des doutes qu’on élevait en haut lieu sur la sincérité d’Arnim et qui étaient connus de l’Empereur, ainsi que du refus de la cour d’Angleterre de l’avoir comme ambassadeur, « parce que, disait-on, on ne pourrait pas croire un seul mot de tout ce qu’il dirait. »

En 1873, Arnim put se convaincre à Berlin que son plan n’était pas encore aussi mûr qu’il le croyait, et il essaya de rétablir nos relations d’autrefois. Il me fit une visite, exprima le regret de notre désaccord... J’étais trop bien informé pour me laisser tromper. Il me quitta, et son talent de pleurer à volonté lui permit d’écraser une larme. Je le connaissais depuis son enfance.


C’est un portrait à la manière noire ; mais il est de main de maître, ou de la main du Maître, et, si la ligne en est appuyée et grossie, il n’en est pas moins ressemblant. Tout au plus y aurait-il lieu d’y apporter un correctif : « Je l’avais choisi, malgré ses défauts, » dit Bismarck. Est-ce bien sûr ? est-ce « malgré » ses défauts, ou plutôt n’est-ce pas un peu « à cause » de ses défauts qu’il l’avait choisi ? Ambitieux, vaniteux, artiste, galant, bon observateur, et, avec tout cela, et, par-dessus tout cela, très Imaginatif, défauts et qualités faisaient du comte Harry d’Arnim, pourvu seulement qu’il obéît et qu’il se pliât, l’instrument idéal, à tout entendre et à tout dire, qu’un politique comme Bismarck pût avoir, dans une ville comme Paris, auprès d’un peuple comme le nôtre, au lendemain d’un événement comme la guerre de 1870. Il semble n’avoir pas été mécontent de ses débuts, qui, pourtant, si l’on n’eût eu vraiment en vue à Berlin que d’« établir des rapports faciles, » laissaient beaucoup à désirer. La première communication que le comte d’Arnim adresse à M. Thiers, le 17 septembre 1871, est sèche, pointue, il est déjà piqué et il le montre :


Je vois que les journaux continuent à voir dans ma maladie un prétexte. Peut-être il y a peu d’esprit à m’en supposer si peu. Je n’oserais pas me