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France, Charles X est renversé et Louis-Philippe d’Orléans proclamé roi à sa place. Encouragées par ce triomphe de la Révolution, la Pologne se soulève contre ses oppresseurs, et la Belgique, lasse du joug des Pays-Bas, donne carrière à ses velléités d’indépendance. En Angleterre, les tory s’sont chassés du pouvoir, qui passe aux mains des whigs dans la personne de lord Grey devenu premier ministre. Ces conflits sont appréciés dans les lettres de l’ambassadrice avec un sang-froid et une sûreté de jugement, que ne possèdent pas toujours les hommes d’Etat. En ce qui touche les affaires de France, dont elle parle à l’heure même où elles deviennent menaçantes, il est aisé de voir qu’elle en prévoit le dénouement. Dès le mois de mars, elle écrit :

... « On est plus occupé ici aujourd’hui de ce qui se passe en France qu’en Angleterre. Tous les gens sensés eussent désiré que le Roi fit le sacrifice de son infatuation pour Polignac, car vraiment sa faveur n’est justifiée par aucune espèce de mérite. C’est un homme sans esprit, sans talent, d’un caractère retors, opiniâtre et de vues tout à fait rétrécies. Qu’il le conserve comme son ami, mais qu’il ne l’impose pas comme premier ministre à une nation éclairée qui ne veut plus du favoritisme dans ses gouvernans. Enfin le Roi a l’air aujourd’hui de jouer la monarchie pour Polignac. C’est cependant là encore ce que lui conseille le duc de Wellington.

« Celui-ci se trouve un peu plus fort au Parlement depuis qu’en adoptant les principes d’économie que lui recommande la Chambre basse, il a montré qu’en toutes choses, il se conforme au vœu de la majorité du public ; et chose extraordinaire, c’est le même homme qui se soumet ici à l’opinion, qui recommande au gouvernement français de lui résister ! Brave pour soi, voilà de drôles de manières.

« Au reste ici, sa marche est connue ; sa façon de gouverner est d’obéir, c’est-à-dire que l’opposition dicte au gouvernement ce qu’il a à faire. En politique étrangère, plus ou moins, c’est la même chose, car après tout, est-il possible d’imaginer que ce soit le ministre, ennemi acharné des Grecs, qui fasse de la Grèce un État indépendant et respectable ; l’ami enragé des Turcs, qui laisse la Turquie humiliée, appauvrie et ne respirer que parce que nous lui permettons de vivre ; le patron de Don Miguel qui lui prodigue des insultes ! Enfin, ce grand homme est un vrai charlatan, mais dont tous les tours sont mis à découvert. En