Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 14.djvu/207

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne point braver l’orage pour le moment. On craint que la population ne le lapide s’il se montrait. Il est heureusement pour lui malade à Kew. Mais enfin cela ne peut pas durer.

« La duchesse ignore je crois, totalement toutes ces circonstances et même la mort de lord Graves. Je ne l’ai pas vue depuis, mais d’après ses lettres que je reçois presque tous les jours, je n’ai pas vu la moindre altération dans son humeur. Elle est dans tous les cas bien véritablement à plaindre, et elle inspire un intérêt général. Je me suis étendue sur ce sujet parce qu’il est possible qu’on s’en occupe chez nous. »

Trois mois plus tard, se produit en Angleterre un événement bien autrement important pour l’histoire que ce drame de vie privée. Le roi George IV meurt. Son frère le duc de Clarence lui succède sous le nom de Guillaume IV. Nous devons à l’ambassadrice un piquant portrait de ce prince en même temps qu’elle trace des débuts du nouveau règne un tableau où s’affirment son esprit acéré, ses dons d’observation et son habileté à décrire ce qu’elle a vu. Il ne se peut page d’histoire plus suggestive ni plus révélatrice :

« ... Pardonnez-moi d’avance toutes les incohérences de cette lettre. Je bavarderai selon que les choses se présenteront à mon esprit. D’abord le roi, quel drôle de roi ! quel bon enfant, quelle pauvre tête ! Je crains qu’elle ne lui échappe, tant sa joie de régner est grande. Il change tout, hors ce qu’il devrait changer : son ministère. Il change les uniformes de son armée, de la marine ; il renvoie les cuisiniers, les domestiques français ; il n’en veut que d’anglais. L’affaire des cuisiniers a été la première de son règne ; c’était le jour même de la mort du feu roi. Il fait couper toutes les moustaches, il court dans les rues, il bavarde avec tous les passans ; il s’en va au corps de garde et montre à l’officier ses doigts tout tachés d’encre. Il lui montre le nombre de lettres qu’il a signées, les audiences qu’il va donner encore ; il lui parle de sa femme, la reine, et lui promet de la mener au corps de garde pour faire sa connaissance. Il va tous les jours à la parade exercer un bataillon, et les veut tous passer en revue de la sorte.

« Le lendemain des funérailles, il prit possession du château de Windsor où l’attendaient les ministres et les grandes charges. Il y arriva juché sur le siège d’une petite voiture, dans laquelle se trouvaient la reine et les deux filles bâtardes du roi. Avant-hier, il fut faire visite à lord et à lady Holland et leur demander