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grand prix à la situation exceptionnelle, unique même qu’elle occupe dans la société britannique.

Il n’est donc pas surprenant qu’elle s’intéresse chaque jour davantage à ce qui s’y passe, à ce qui s’y dit, à ce qu’on y pense et comme elle se plaît à le raconter à son frère, ses lettres sont à vrai dire un miroir où revit toute l’histoire de cette société avec ses incidens, ses intrigues, ses scandales si souvent renouvelés, grâce à la perversité des mœurs qui, sous le règne de George III et de George IV, a eu sa source à la cour. En voici un, en date du mois de mars 1829, qui met en scène le triste personnage qu’est le duc de Cumberland, frère du roi, indigne époux de la charmante princesse dont Mme de Liéven se flatte d’être l’intime amie.

« Un certain capitaine Garth passe ou se fait passer pour le fils de la princesse Sophie, sœur du roi. Des sommes promises par un cavalier de la cour pour payer ses dettes et surtout pour avoir possession de certaines lettres montrent clairement que la famille royale est intéressée dans cette question. Le premier fait est conjectural. Mais, voici le comble. Le capitaine Garth prétend que ces lettres prouvent que le duc de Cumberland est son père en même temps que la princesse Sophie est sa mère et quelle que soit l’opinion qu’on porte de cette infâme calomnie, voilà la famille royale dans la boue, car les journaux n’entretiennent le public que de ce fait, soit pour l’affirmer, soit pour le démentir. La conséquence désirée n’aura pas lieu. Le duc de Cumberland reste, il restera d’autant plus qu’il trouve maintenant son honneur intéressé à ne point avoir l’air intimidé par cette horrible accusation. »

Un an plus tard, c’est encore le duc de Cumberland que la correspondance nous dénonce comme mêlé à une sinistre aventure… « Nous avons eu ici la plus horrible catastrophe et comme le nom d’un prince du sang s’y trouve malheureusement mêlé, je crois devoir vous en dire quelques détails. Le duc de Cumberland a fait une espèce de cour à lady Graves, sœur du marquis d’Anglesea et dont le mari était chambellan du roi ; mais de ces manières de cour un peu communes en Angleterre et qui ne tirent pas à conséquence. C’est une femme de près de cinquante ans, avec treize enfans et plus jolie du tout. À tout prendre c’était peut-être une vieille affaire de coquetterie réchauffée ou même rien qu’une habitude. Il a suffi cependant que ce fût le duc