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Sa correspondance nous la montre infatigable dans ce rôle et merveilleusement ingénieuse à leur créer des difficultés, en même temps qu’usant d’une franchise qui va parfois jusqu’à l’impertinence, elle discute leurs dires, les critique et les raille. À cette heure, sa tête de Turc, — le mot est de circonstance — c’est lord Aberdeen à qui Wellington a confié la direction des Affaires étrangères. Lord Aberdeen préludait alors à une brillante carrière dont les hasards devaient, à quelques années de là, le rapprocher de Guizot et les unir d’une étroite amitié. Cette amitié confiante, Guizot, dans ses Mémoires, en a vanté les agrémens et le charme. Mais l’ambassadrice de Russie, au début de ses rapports avec lord Aberdeen, ne le jugeait pas aussi favorablement que le fit plus tard le fidèle compagnon des vingt dernières années de sa vie.

« Lord Aberdeen est un pauvre diplomate, écrivait-elle ; il n’y a sorte de vérités qu’il ne subisse de ma part. Il est fort aisé de le convaincre ; mais cela ne mène à rien ; il n’est que le premier secrétaire de Wellington. Pour qu’il fût bon à quelque chose, il faudrait commencer par le mettre en révolte contre son chef. Le chef est bien la mule la plus obstinée que je connaisse. Je ne discute plus avec lui. Je le fais parler et je l’écoute. C’est là que je démêle toute son hostilité contre nous et tout son amour pour Metternich. »

Complaisant pour l’Angleterre et déplaisant pour la Russie, s’efforçant d’ameuter contre celle-ci la presse européenne, se flattant de contrecarrer les visées de l’empereur Nicolas, l’ancien ami de la princesse de Liéven était devenu de plus en plus sa bête noire. Ce qu’elle pensait de lui, elle ne le dissimulait pas. Au commencement de janvier, revenant de Windsor, elle le mande à son frère.

« Le roi en causant avec moi a commencé par se récrier sur les abominables mensonges des gazettes à l’égard de nos prétendus désastres et me dit qu’il ne lisait plus ces articles tant cela le fatiguait et le dégoûtait. Je lui ai dit que pour moi, ils ne m’étonnaient point, vu leur source. Alors il s’est mis à travailler cette source (Metternich) et m’en a dit tout ce qu’il mérite : un homme sans foi ni loi, sans honneur, sans parole, enfin il n’y a sorte de mal dont il ne m’en ait dit. J’ai expliqué qu’il était bien triste de penser que c’était tout juste cet homme qui menait le Cabinet anglais.