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de la vie corporelle les nobles architectures de silhouettes humaines édifiées par Giotto.

Le contraste est violent et brusque entre ces personnages aux faces débonnaires et les créatures agitées de Sandro Botticelli. Le peintre du Magnificat, dont les Médicis avaient déjà distingué le génie bizarre et séduisant, fut chargé de représenter dans la Sixtine des scènes très différentes par la véhémence de l’action. Il peignit successivement un drame des colères célestes : l’histoire des Lévites rebelles ; une cérémonie froide et surannée : le sacrifice du Lépreux guéri ; enfin une suite d’épisodes qui rapprochait dans le même décor un meurtre, celui de l’Égyptien tué par Moïse et une idylle : la rencontre de l’exilé et des deux bergères devant la fontaine de l’oasis.

Le peintre anime toutes ces compositions de mouvemens impétueux et désordonnés. Moïse et l’Egyptien, abattus sur le sol, ne forment qu’une masse hurlante. Des contorsions de possédés secouent les lévites frappés par le dieu vengeur au pied de l’autel : leurs propres encensoirs se retournent contre eux, dardant des flammes aux visages des coupables et se tordant comme des serpens furieux. Le même vent de tempête agite, dans une autre fresque, la foule réunie autour du grand prêtre, qui reçoit simplement de l’acolyte le vase où trempe un rameau d’hysope.

Les êtres inquiets et nerveux qu’a enfantés Botticelli n’ont point la ferme assiette et la raison vigoureuse des hommes campés par Ghirlandajo et par Signorelli. Son Moïse n’a rien de l’exécuteur implacable des arrêts du Très-Haut : il connaît la faiblesse et la pitié. Lorsque le jeune héros verse l’eau du puits aux moutons des filles de Jéthro, il se penche, la tête abandonnée, comme s’il allait tomber aux pieds des bergères. Plus tard, lorsque sa mission l’amène, vieillard à barbe blanche, devant le gouffre entr’ouvert sous les pieds des lévites rebelles, le patriarche succombe sous la puissance divine dont il est l’instrument ; son front s’incline vers la fosse, et tandis que sa main se lève sur les foudroyés, le geste qui doit lancer l’anathème ébauche une bénédiction.

Cette lassitude émue qui accable le chef du peuple d’Israël, dans un jour de combat contre les ennemis de Dieu, est une conception de poète, que, trois siècles après Botticelli, un autre poète tourmenté et douloureux traduira en vers éloquens. Le