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pour surveiller le Rif, et enfin dans la région d’Oudja, pour prendre à revers le prétendant. Tel est le jeu ordinaire de la politique du Maghzen : il est bien loin d’être le maître de tout le territoire du Maghreb, mais il a à lutter contre des adversaires sans cohésion ; il augmente leurs divisions par d’habiles intrigues, par de l’argent adroitement semé ; il attise les haines, entretient les rivalités ; il sait aussi, quand il peut le faire sans péril, frapper rudement et faire expier en quelques jours des années de patience et d’humiliations. Ne croirait-on pas voir Louis XI, ou quelqu’un de nos vieux rois, venant à bout des forces féodales en les opposant les unes aux autres, se servant au bon moment de l’influence de Rome et des évêques, soudoyant les consciences, achetant les trahisons, payant les fidélités, jusqu’au jour du règlement de compte final ?


IV

Pour le moment, la partie de Bou-Hamara semble perdue, autant, du moins, qu’en un pareil pays il est possible de préjuger d’un avenir, même très proche. La résistance de ses partisans va sans doute se concentrer autour de Taza et dans les montagnes des Riata où elle s’épuisera et finira par s’éteindre ; quelques têtes encore iront à Fez, orner Bab-Ftouh, et une sécurité relative renaîtra dans le bled-el-Maghzen, tandis que les tribus du bled-es-siba retourneront à leur irréductible particularisme. Il est probable d’ailleurs que les détails de l’insurrection actuelle, lorsqu’ils seront bien connus, prouveront que l’incendie fut moins étendu et le péril moins urgent que certains nouvellistes n’ont voulu le faire croire. Les « grandes batailles », dont on nous a conté les péripéties n’ont pas coûté la vie à beaucoup de combattans ; jamais les transactions n’ont été entravées dans tout le Nord et l’Ouest du Maghreb ; la lutte est restée circonscrite à la région de Taza. Le danger n’a probablement pas été aussi grave qu’on l’a cru ; mais ce qui est sûr, c’est qu’il renaîtra.

L’alarme, malgré tout, a été chaude dans l’entourage du Sultan ; et peut-être convient6il que nous nous en félicitions, si cette leçon l’avertit qu’il ne braverait pas toujours impunément les traditions et les préjugés de ses sujets, et l’incite à réfléchir sur l’imprudence de certaines compromissions et les inconvéniens