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Riata : guerriers redoutés, ils ont fait, de la ville abandonnée par le Maghzen, leur esclave et leur proie ; ils la pillent et la rançonnent sans cesse comme une ville conquise ; elle est, si l’on ose dire, leur vache à lait ; les belles palmeraies, orgueil de la cité, sont aux mains des bandes sauvages qui font payer aux habitans la faveur de récolter leurs propres fruits et même le droit de puiser de l’eau dans les torrens qui coulent au pied des murailles. Désespérés, les gens de Taza émigrent ; ceux qui restent vivent dans une perpétuelle insécurité ; dans leur détresse ils invoquent le Sultan ; le vicomte de Foucauld rapporte même les avoir entendus envier le bonheur et la tranquillité de Tlemcen. Il se pourrait que l’une des conséquences de la guerre actuelle fût de ramener enfin à Taza les troupes du Sultan et de délivrer la malheureuse cité de ses terribles oppresseurs. En tout cas, ce que nous avons dit de Taza suffira à faire comprendre pourquoi Bou-Hamara en avait fait le centre de ses opérations et de quelle importance est, pour la sécurité et l’avenir du Maroc, la possession de la ville et du carrefour qu’elle commande.

Au Nord de la trouée de Taza habitent les tribus des Djebala et du Rif ; au Sud, c’est le pays des Brâber, la région la plus sauvage, la plus impénétrable du Maghreb. C’est là, dans les hautes vallées de l’oued Sebou, de la Moulouya et de leurs affluens, sur les flancs du moyen-Atlas et des chaînes parallèles qui s’étagent jusqu’aux sommets neigeux du grand-Atlas, que le sang berbère s’est conservé pur de tout alliage étranger. Les tribus, jalousement indépendantes vis-à-vis du Sultan, ne le sont pas moins les unes vis-à-vis des autres ; guerrières et fanatiques, elles maintiennent, dans leurs montagnes et dans leurs hautes vallées, les coutumes et les traditions immémoriales de la race. Ici, nous sommes en plein bled-es-siba ; le Sultan n’a, chez les Brâber, aucune autorité ; il se contente de profiter de leurs divisions intestines, de leurs constans démêlés, pour soudoyer telle ou telle fraction, fournir des subsides à tel ou tel chef ; il parvient ainsi à neutraliser les unes par les autres ces remuantes tribus. Chaque douar a son chef, chaque fraction sa djemâa, chaque tribu son ou ses amrar ; les rivalités, les haines locales, les vendettas de famille rendent toute confédération, toute concentration de troupes impossible, même dans le cas où la guerre sainte viendrait soulever la haine fanatique de l’étranger. Les Brâber, s’ils détestent tout ce qui est chrétien, ne sont pas pour