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révolté et s’est posé en prétendant au trône ; de 1898 à 1900, le caïd El-Guellouli, à la tête d’une forte armée appuyée sur la citadelle de Tiznit, a guerroyé longtemps contre le marabout, qui reste à peu près indépendant dans ses oasis. Que les temps troublés se prolongent pour le Maroc, que le Nord s’agite et retienne longtemps le Maghzen à Fez, et c’en serait assez pour que tout le Sud se lève à la voix du marabout de Sidi-Ahmed. Déjà, s’il en faut croire certains renseignemens, l’agitateur Bou-Hamara aurait envoyé un émissaire au marabout du Tazeroualt pour l’inciter à soulever toute sa région. Quand la dynastie filalienne a succédé, en 1665, à la dynastie saadienne, elle venait du Tafilelt ; comme elle a commencé il se pourrait qu’elle finît, en laissant la place à des hommes du Sud.

En dépit des prophéties, ce n’est cependant pas du Sud, mais du Centre et de l’Est, qu’est venu le danger qui a jeté l’effroi, en ces dernières semaines, jusque dans Fez et dans l’entourage du Sultan. Qu’est-ce que ce Bou-Hamara, apparu subitement dans l’histoire du Maroc, célèbre un jour, puissant une heure, aujourd’hui fugitif ? Bou-Hamara est un surnom qui signifie « l’homme à l’ânesse ; » le vrai nom de l’agitateur est Jelalli-ez-Zerhouni, originaire, comme son nom l’indique, du Zerhoun et, par conséquent, chérif[1]. C’est une sorte de charlatan, de magicien, de faux Mahdi. Un renseignement, que nous avons tout lieu de croire exact, nous le montre voyageant, l’hiver dernier, parmi nos tribus algériennes de l’Oranie, s’y faisant passer pour Mouley-el-Arbi, chérif d’Ouazzan, et escroquant des aumônes grâce à cette supercherie. Au mois de juillet dernier, on signalait la présence dans le Metghara (haute vallée de l’oued Ziz) d’un agitateur borgne, au nez fortement marqué de petite vérole, dont le signalement correspond à celui que l’on nous donne de Jelalli-ez-Zerhouni. L’agitateur travaillait-il pour son propre compte, avait-il l’intention de se substituer au Sultan actuel, ou voulait-il mettre à sa place quelque autre prétendant, soit Mouley-Mohammed, soit le marabout du Tazeroualt, soit tout autre, il est

  1. Le djebel Zerhoun est la montagne sainte qui domine le paysage entre Fez et Meknez ; c’est là que Mouley-Idris, premier empereur du Maroc, fonda la première ville de son nom ; c’est son fils Mouley-Idris II qui fonda Fez. On montre, sur la montagne, la grotte où s’abrita le premier Idris, quand il arriva d’Orient au Maroc ; à côté, est la « grotte des premiers apôtres » (El-Kef-el-Moujahidin). Les ruines d’une vaste enceinte romaine s’élèvent auprès de là. Toutes les familles originaires de la Montagne sainte sont regardées comme chérifiennes.