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diapason plus élevé que dans les années qui suivirent 1670. L’évolution des deux pays s’était poursuivie si dispersement qu’ils étaient devenus incapables de se comprendre. En France, la religion politique d’outre-Manche apparaît comme une monstruosité. Comminges écrit : « Si Aristote, qui s’est mêlé de définir jusqu’aux moindres choses de la politique, revenait au monde, il ne saurait trouver des termes pour expliquer ce gouvernement. » « L’humeur farouche et cruelle » des Anglais inspire aux sujets de Louis XIV une sorte de stupeur. Leur roi fait pitié. « C’est un bon métier d’être roi partout, hors en Angleterre, » écrit Bussy-Rabutin au marquis de Trichâteau. Personne n’assurerait qu’il doive mourir de mort naturelle. On s’attend à le voir quelque jour repasser la Manche. « Londres mériterait aussi bien le feu du ciel, que Sodome et Gomorrhe. »

À l’aversion de la France pour le bruyant parlementarisme et le protestantisme anglais, répond, du côté de l’Angleterre, une haine furieuse contre la terre de papisme et de despotisme, dont on sait bien que le souverain entretient des relations à la cour et y fomente des intrigues. De 1660 à 1670, la défiance et la colère sont allées croissant ; la triple alliance de 1668 a suscité un véritable enthousiasme. « C’est, écrit Pepys, la seule bonne chose que le roi ait faite depuis la Restauration. » Le tory Dryden lui-même regarde comme un crime de l’avoir rompue. Ce qu’on a soupçonné du traité de Douvres exaspère l’inquiétude. La guerre de Hollande, de médiocre succès d’ailleurs, n’est point populaire, puisque la France est l’alliée. Le rapprochement visible du roi avec les catholiques, la déclaration d’indulgence de 1672 provoquent une irritation qui va se traduire par le bill du Test, en attendant les persécutions contre les catholiques.

Française et catholique, la duchesse de Portsmouth, dès le jour de son avènement, porte la peine de son origine et de sa religion bien plus que de ce qu’a d’immoral une situation qu’on pardonne si bien à Nell Gwyn. D’un bout à l’autre de son séjour en Angleterre, elle fut en butte à la haine nationale. Le séjour d’Euston lui avait donné l’éveil. L’élévation de l’étrangère au titre de duchesse en provoqua le déchaînement. On se répète, en les exagérant, les honneurs qui lui sont accordés, les fêtes qui accompagnent son intronisation. On se réjouit des détails de procédure qui la retardent. On s’arrache les pamphlets qui présentent sous un jour grotesque ses débats avec Nell Gwyn ; toute