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la posséder sa vie durant, mais même en disposer librement. » Colbert, obligé de transmettre ce message au fort des difficultés du mariage d’York, le faisait l’âme ulcérée : « Je vous avoue, écrivait-il à Pomponne, que je la trouve en toutes occasions si mal intentionnée pour le service du roi et de tant d’emportement contre la France, soit qu’elle croie en avoir été et en être encore méprisée, ou que ce soit un pur effet de son caprice, qu’elle ne mérite pas suivant mon sens que Sa Majesté lui fasse aucune grâce. Mais, comme il me paraît que le roi d’Angleterre a toujours beaucoup d’amour et de complaisance pour elle, je laisse à juger à Sa Majesté quel égard elle doit avoir aux prières dudit roi. »

Louis XIV avait trop besoin de Charles II dans la guerre de Hollande pour lui refuser pareille satisfaction. Il essaya seulement de la marchander, proposant de faire don de la terre d’Aubigny au fils que la duchesse avait eu du roi. La favorite en fut blessée. Charles II insista derechef pour que la donation lui fût octroyée sans condition, se faisant fort d’empêcher toute aliénation ultérieure de cette terre en dehors de la descendance royale. Colbert de Croissy suggéra lui-même, à peu de chose près, la transaction à laquelle on s’arrêta. Il fut décidé « que la donation serait faite pour la vie de Madame de Portsmouth. » Après sa mort, elle passerait à tel enfant naturel du roi d’Angleterre qu’il lui plairait de désigner, en réalité au fils que la duchesse avait eu de lui l’année précédente et qui, peu de temps après, allait être fait duc de Richmond.

Afin qu’aucune amertume ne lui fût épargnée, comme l’expédition du brevet se fit avec quelque lenteur, l’ambassadeur de France se vit forcé de la presser lui-même à plusieurs reprises. Enfin il l’obtint et le remit au roi d’Angleterre, qui, tout joyeux, le donna devant lui à sa favorite. Elle daigna se montrer satisfaite, faire assurer le roi de sa reconnaissance, et déclara « qu’elle tâcherait de faire voir en toutes rencontres qu’elle a tous les sentimens qu’une bonne sujette doit avoir. » Duchesse de Portsmouth en Angleterre, duchesse d’Aubigny en France, Louise de Kéroualle affirmait par ce double titre le rôle qu’elle entendait jouer à la cour de Charles II et dans les relations politiques des deux monarques. Voyons par quels moyens, au milieu de quelles difficultés, et avec quel succès, elle sut le tenir.