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moins de décence extérieure, moins de retenue et quelque chose de plus grossier. Au lieu de planer au-dessus des aventures de la cour, la personne même du roi s’y trouvait mêlée. En rivalité avec ses courtisans qui lui enlevaient ses maîtresses après lui avoir donné les leurs, Charles II, dans ses débordemens, ne gardait pas la majesté de Louis XIV, qui étendait jusqu’à ses plaisirs le caractère de la royauté. Grammont s’en aperçut, qui fut exilé pour avoir jeté les yeux sur l’objet d’un caprice royal. Autour des favorites de Charles II, il n’y avait rien du respect qui entourait une La Vallière ou une Montespan. Aux courtisans les plus dévots il était difficile de prendre au sérieux tant de belles personnes qui tour à tour ou simultanément retenaient l’attention royale, passant aisément de Mademoiselle Nell Gwyn, jadis marchande d’oranges, à Mademoiselle Davis, d’origine également distinguée, ou à Mademoiselle Wells, fille d’honneur de la reine. Cependant il en était qui s’imposaient davantage à l’attention publique. Telle était Madame Middleton, « bien faite, blonde et blanche ; » mais si indolente, affectée et ambitieuse de bel esprit, que sa réputation d’ennuyeuse subsista fort longtemps après sa beauté et empêcha peut-être Charles II de l’enlever au comte de Ranelagh. Telles étaient surtout Mademoiselle Stewart et lady Castlemaine, les seules, en somme, dont la faveur simultanée eût un caractère officiel et pour ainsi dire politique.

La première était célèbre à la fois par ses charmes et sa bêtise. « On ne pouvait guère avoir moins d’esprit ni plus de beauté. » Elle était grande et mince, gracieuse en même temps ; les traits du visage étaient beaux et réguliers. Mais sa gloire principale était sa jambe qui, moulée dans un bas de soie verte, ne souffrait point de rivales. On la montrait solennellement aux ambassadeurs étrangers. D’ailleurs, pour peu qu’on vantât celle de quelque autre femme. Mademoiselle Stewart se tenait « toute prête à le disputer par la démonstration. » « Je crois, commente malignement Hamilton, qu’il ne serait pas difficile, avec un peu d’adresse, de la mettre nue sans qu’elle y fît réflexion. » La réflexion n’était pas le fort de cette belle personne. « Elle avait un caractère d’enfance dans l’humeur qui la faisait rire de tout. » Hormis les poupées, ses goûts étaient ceux d’une fillette de douze à treize ans. La première fois qu’elle vit paraître devant elle le comte d’Arlington, à qui un emplâtre en losange posé sur le nez donnait « quelque chose d’important et de capable, » elle se