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informés se contentèrent de noter qu’avec lui s’embarquèrent M. Stanley, le chevalier de Grammont et « une jolie jeune femme, Mademoiselle Kervel, jadis fille d’honneur de Madame, et dont on dit qu’elle va tenir le même rang auprès de la reine d’Angleterre. »

Il n’est pas impossible néanmoins que quelque démarche inconsidérée ait rendue défiante à son égard la jeune étrangère. Burnet raconte que le duc de Buckingham « oublia » d’une manière assez bizarre Mademoiselle de Kéroualle à Dieppe. Il se peut que cet « oubli » ait eu des raisons que nous ignorons. Ce ne fut dans tous les cas point sous sa protection qu’elle débarqua, et le duc de Buckingham ne sera point de ses amis.

Dès son arrivée à Londres, qui se fit au mois de septembre 1670, elle semblait d’ailleurs pouvoir se passer de protecteur. Le roi envoyait un yacht à sa rencontre ; elle était bientôt nommée fille d’honneur de la reine, et le monde des courtisans remarquait immédiatement avec quel empressement elle était accueillie par Charles II. Il était visible qu’elle n’avait qu’un mot à dire pour prendre sa place dans le harem de beautés qui formait l’escorte ordinaire du monarque. La manière dont elle dit ce mot, et le temps qu’elle mit à le dire, vont nous montrer que cette jeune fille de vingt et un ans qui venait de passer la Manche était quelque chose de plus qu’une intrigante vulgaire, uniquement désireuse d’exploiter un caprice passager du roi ; et qu’à défaut d’une âme exempte des faiblesses de son temps et de son sexe, elle était douée de qualités fort supérieures à celles qui distinguaient les favorites ordinaires du monarque.


II

Il y avait bien des années déjà, — son avènement au trône avait ouvert l’ère des plaisirs, — que les femmes, le jeu et les divertissemens de toute sorte étaient les passe-temps favoris du monarque intelligent, sensuel, bienveillant et sceptique qu’avait rappelé en Angleterre le dégoût des folies lugubres du puritanisme.

Instruit, d’un jugement sûr, d’un esprit vif et pénétrant, Charles II aimait son peuple, et, à l’occasion, ne manquait point d’énergie. Sa fierté de roi et son orgueil d’Anglais étaient capables