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Froidement, mais fièrement, et donnant l’exemple de cette dignité calme, de cette sincérité réfléchie et comme calculée qu’il ne va pas cesser de recommander à ses agens de tout ordre et de tout degré, M. Thiers écarte l’allusion :


Je n’ai rien à cacher ni à mon pays, ni aux puissances avec lesquelles il est en rapport. Lorsque, avec une douleur profonde, j’ai signé le traité des préliminaires, j’avais pris résolument mon parti et j’avais reconnu qu’au point où en étaient les choses, la paix valait mieux pour la France que la continuation d’une guerre déplorablement résolue, et tout aussi déplorablement conduite. Or, lorsque ce parti, si cruel pour moi, a été pris, et pris par pur dévouement à mon pays, car j’étais, de tous les Français, le moins obligé à m’en imposer la douleur, je n’étais pas homme à vouloir, par une inconséquence inconcevable, retomber dans la guerre.

Je n’ai songé qu’à deux choses : à rendre définitive la paix avec l’Allemagne et à terminer la guerre civile, que, certes, je n’avais pas plus provoquée que je n’avais provoqué la guerre étrangère ; et, je l’avoue, je ne m’explique pas encore comment on aurait pu se tromper sur mes intentions. Si les négociateurs qui ont cherché à substituer à une rédaction provisoire une rédaction définitive avaient pu donner à penser que je voulais altérer le fond du traité, je les désavouerais ; mais je suis convaincu qu’ils n’en ont rien fait, et je suis obligé de croire à des malentendus qui, je l’espère et je le souhaite, finiront bientôt par la rencontre de M. le prince de Bismarck avec MM. les ministres des Affaires étrangères et des Finances. Ma confiance dans la fécondité de mon pays a toujours été grande, et c’est cette confiance qui m’a fait contracter des engagemens cruellement onéreux. Or, j’ai pensé, je pense encore que chaque jour de retard dans la renaissance de l’activité industrielle et commerciale de la France, lui fait cent fois plus de mal que ne pourrait lui faire de bien une atténuation des préliminaires, obtenue au prix d’agitations nouvelles. Mais, si je ne veux pas décliner les engagemens pris, j’ai le devoir de ne pas les laisser aggraver...

C’est parce que ni mes collègues, ni moi, nous ne craignons une explication, que j’ai accueilli avec empressement et confiance l’idée d’une entrevue entre le prince de Bismarck et MM. Jules Favre et Pouyer-Quertier. Après cette entrevue, j’en suis convaincu, aucune obscurité ne subsistera, et les difficultés s’aplaniront, au grand avantage des deux pays, intéressés l’un et l’autre à voir finir des incertitudes qui ne nous rendraient pas la guerre, sans doute, mais nous en donneraient les anxiétés, et empêcheraient de renaître la bienfaisante fécondité de la paix.


Dès le premier jour, M. Thiers se dévoue tout entier à son œuvre, et il n’est pas une de ses minutes où il n’y soit tout entier attaché. Sur le triple champ d’action où il opère, — Compiègne d’abord, puis Nancy, Paris ou Versailles, et Berlin, — il voit tout, il sait tout, il fait tout, et partout il est à tout. Le général de Manteuffel est nommé au commandement en chef de