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Sévigné à Charles II, Mademoiselle de Kéroualle, selon toute apparence, ne passa la Manche qu’avec le vague espoir de trouver en Angleterre un établissement définitif ; et c’est peut-être la sommaire connaissance qu’elle avait de la langue qui la fit choisir pour accompagner son illustre protectrice dans le voyage qui allait décider de sa fortune.

Le caractère et les péripéties du voyage de Douvres ont été maintes fois contés. Intelligente et déliée, charmante et chérie de son frère. Madame avait été chargée par Louis XIV de l’enchaîner définitivement à la France. A force d’insistance. Monsieur, jaloux du duc de Buckingham comme mari et envieux de sa femme à cause du rôle politique qu’elle allait jouer, avait consenti à la laisser partir : mais l’entrevue devait avoir lieu à Douvres, le nombre des jours était compté, et le duc de Buckingham ne s’approcherait pas de la ville. Madame réussit pleinement dans sa mission. Entre les conférences à huis clos où se décidaient la conversion de Charles II, l’alliance franco-anglaise et la guerre contre la Hollande, des fêtes magnifiques étaient données à la belle diplomate et à sa suite. C’est au cours de ces divertissemens que, parmi la foule des courtisans, le roi d’Angleterre distingua Louise de Kéroualle. N’était-ce pas d’elle aussi bien que de cette sœur chérie qu’il ne pouvait se décider à se séparer, le jour du départ, quand il accompagna celle-ci « fort loin dans le vaisseau sur lequel elle s’embarqua, qui était des plus superbes ? »

Le retour en France de Louise de Kéroualle devrait être, si l’on en cherchait, la preuve que le voyage en Angleterre n’était point calculé de sa part : quinze jours à peine de connaissance avec l’inconstant et voluptueux monarque ne permettent guère d’y voir un raffinement de coquette habile à se faire désirer. Mais les voyageuses avaient à peine regagné Versailles, Madame recueillait à peine le tribut d’éloges qu’elle avait mérité, que la plus affreuse des catastrophes l’enlevait à la cour empressée au-devant d’elle et menaçait les rapports nouvellement créés entre les deux monarques. La mort d’Henriette d’Angleterre, attribuée d’abord au poison, bouleversa, s’il se peut, plus violemment encore la cour de Charles II que celle de Louis XIV. L’émoi de l’Angleterre se traduisit par un sursaut d’hostilité contre les Français. Cependant les explications les plus complètes, les rapports circonstanciés des médecins calmèrent les