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voulons-nous continuer à les couvrir loyalement de notre drapeau, ou préférons-nous les désavouer à la face du monde, et après les avoir ruinés et déshonorés, les contraindre à se licencier et à déposer les armes pacifiques avec lesquelles ils ont, si longtemps, lutté pour la France ? — ou bien encore, n’ayant plus l’énergie de prendre un parti viril, aurions-nous l’inconséquence de prétendre garder le bénéfice de leurs services au loin, tout en les repoussant du sol français, en leur interdisant de s’y reposer, de s’y ravitailler, de s’y recruter ?

Tel est, dans toute sa simplicité, le problème posé, à cette heure, devant le pays et devant le parlement. Ce problème, serait-ce trop présumer de la sagesse ou du patriotisme de nos députés que de les supplier de l’examiner en politiques et en Français ?

Il ne s’agit pas, uniquement, comme veulent nous le faire croire ou comme se le persuadent naïvement nombre de politiciens ou de journalistes, d’une question intérieure, d’une affaire d’église ou de couvent, il s’agit de la puissance française et de notre influence dans le monde. Si, pour complaire aux préjugés de l’anti-cléricalisme, si pour séculariser et, comme l’on dit aujourd’hui, pour laïciser définitivement notre politique, au dehors comme au dedans, notre gouvernement se désintéresse de nos missions à l’étranger et laisse péricliter, en ses mains hésitantes, le protectorat catholique, nous avons montré qu’il se trouvait, à nos portes, des concurrens tout prêts à se partager le fructueux héritage que notre débile politique est sur le point d’abandonner. Déjà l’Allemagne, l’Italie, l’Autriche-Hongrie ; étendent la main sur l’antique patrimoine que nous ne savons plus défendre, tandis qu’elles aussi, la Russie et l’Angleterre s’ingénient chacune à grossir sa clientèle religieuse et politique. Amies ou rivales, catholiques ou orthodoxes, les puissances s’apprêtent à nous enlever nos derniers protégés et à nous évincer, sans bruit et sans violence, de tout le Levant. Nous sommes à la veille de commettre, inconsciemment et gratuitement, sans le vouloir et sans le savoir, une faute non moins grave que celle qui nous a coûté, il y a vingt-cinq ans, l’hégémonie aux bords du Nil. N’est-ce pas assez que l’imprévoyance des politiciens d’estaminet, que la niaiserie et la couardise radicales nous aient fait naguère perdre l’Egypte ? faudra-t-il donc que, à un quart de siècle de distance, les passions jacobines et les rancunes anti-cléricales nous fassent perdre la Syrie et le Levant ?