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entre la Porte ottomane et les chefs de leurs Églises, qui sont en même temps, comme partout en Orient, les chefs de leurs nations ; il faut que Rome nous maintienne les droits qu’elle nous a reconnus. Il faut davantage encore ; il faut aussi que nos religieux français gardent, dans la formation et l’instruction de ces clergés indigènes, la place prédominante qu’ils ont su conquérir, grâce à des établissemens, tels que l’Université fondée à Beyrouth par les Jésuites français, ou tels encore que l’Ecole Saint-Etienne des Dominicains à Jérusalem. Autrement, alors même que nous prétendrions le conserver en droit, notre protectorat risquerait fort de devenir purement nominal et de s’effriter, peu à peu, au profit de concurrens qui épient nos fautes et nos défaillances pour se substituer à nous. Soyons-en certains, si, pour garder notre clientèle d’Orient, nous ne savons pas la maintenir en union et comme en contact avec nous, à l’aide de nos religieux, de leurs écoles et de leurs collèges, cette clientèle nous échappera ; elle se regardera comme abandonnée par nous ; elle se tournera vers ceux qui lui offriront ce que nous ne saurons plus lui donner, vers nos rivaux, allemands, italiens, autrichiens ; et la France aura perdu, en quelques années, par une coupable négligence, ou, ce qui est plus triste, par des préjugés de sectes, l’héritage de dix siècles de travaux et d’efforts.

La question est simple en effet ; il suffit pour la comprendre de la poser nettement ; il n’y a qu’à laisser parler les faits et l’histoire. Si la France n’est plus la première puissance catholique (depuis la sécularisation de l’Etat et depuis la Révolution, il n’y a plus, à vrai dire, de puissances catholiques ou de puissances protestantes), la France n’en demeure pas moins la première nation catholique.

Elle l’est, au XXe siècle, comme elle l’était au XIXe . C’est là un fait indépendant de la forme de notre gouvernement et des tendances de nos gouvernans. Être la première nation catholique, alors que les catholiques comptent, dans le monde moderne, pour plusieurs centaines de millions, c’est encore là, vis-à-vis d’une notable portion de l’humanité, une façon de primauté que nous n’avons pas le droit de dédaigner, car elle nous vaut, dans les deux hémisphères, des sympathies et des admirations désintéressées. Cette primauté, faut-il que l’esprit d’intolérance et le fanatisme anti-clérical en nous enlèvent les avantages, alors que, pour en conserver les bénéfices, il nous suffirait d’un peu de