Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/959

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

30 décembre dernier M. Edmond Bapst, notre chargé d’affaires à Constantinople, sont, à quelques nuances près, celles de tout le monde ici. » M. Steeg est notre consul à Salonique : il paraît être un agent distingué, observateur attentif, jugeant bien ce qui se passe autour de lui, et proposant les remèdes les mieux appropriés au mal. Il a contribué, dans une assez large mesure, à préciser, sur ce qu’il y avait à faire, les idées de notre gouvernement. Au reste, les suggestions de M. Steeg sont très simples. Pour faire cesser les principaux abus qui ont créé en Macédoine une situation intolérable, il faut avant tout payer régulièrement les fonctionnaires et les gendarmes, contrôler au moyen d’inspecteurs européens la perception des impôts, enfin assurer au gouverneur de la province une autorité effective, qui lui fait complètement défaut aujourd’hui, en le nommant pour un nombre d’années fixé d’avance. Si ces réformes étaient sérieusement faites et appliquées, la situation de la Macédoine ne tarderait pas à se modifier. Les fonctionnaires ottomans sont bien obligés de se payer eux-mêmes et de vivre sur le contribuable, puisqu’ils ne sont pas payés par leur gouvernement. Il en est de même des gendarmes. On trouve une observation parfaitement juste dans le Livre Jaune, à savoir que les Ottomans, et en particulier les Turcs employés dans les administrations dirigées par des Européens, sont le plus souvent honnêtes : ils ne cessent de l’être que lorsqu’ils sont employés par le gouvernement, et la raison en est celle que nous avons dite. Quant aux gouverneurs de province, il y en a quelques-uns déjà dans l’Empire ottoman auxquels des arrangemens internationaux ont garanti une certaine indépendance ; ce régime a produit d’heureux résultats. Mais les gouverneurs qui dépendent d’un caprice du Sultan, soit pour leur nomination, soit pour leur révocation, sont les premiers à sentir leur fragilité, et ils occupent, sans la remplir, une place qu’ils s’efforcent surtout de rendre rapidement lucrative. L’autorité directe du Sultan s’exerce par-dessus leur tête. C’est là un des vices principaux d’une organisation qui suscite inévitablement autour d’elle le mépris et la haine, et ne peut se soutenir que par la terreur. Si le mot de décentralisation n’avait pas en Occident une signification qui ne saurait s’appliquer exactement ailleurs, nous dirions que c’est une décentralisation véritable qu’il faudrait introduire dans l’Empire ottoman, en assurant à chaque province la disposition de la partie de ses ressources correspondant à ses besoins constatés, et en mettant à sa tête des gouverneurs qui disposeraient d’une autorité sérieuse. Mais ce serait toute une révolution.