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derrière lui, dans sa capitale, cette « machine de mouvement, » alors que lui-même était retenu sur les lointains champs de bataille. C’est que cette capitale il la savait toujours frémissante, inquiète et près de se reprendre. De toute l’étude de M. Paul Gautier cette conclusion se dégage et peut-être en est-ce la partie la plus neuve et la plus saisissante. Aujourd’hui et tout éblouis que nous sommes des gloires de l’époque impériale, il nous semble qu’aucun pouvoir ne dut être plus solide que celui de Napoléon : le fait est qu’il n’en fut pas de plus instable. Ce n’est qu’à coups de victoires qu’il parvient à raffermir, pour un temps, une autorité sans cesse remise en question. Aux premiers jours du Consulat, il a devant lui le parti républicain qui dispose encore de forces considérables, comptant des généraux illustres, des écrivains, des orateurs. Son ambition commence à éveiller le soupçon, à provoquer des résistances. Il était perdu s’il n’avait disposé de moyens qui, à vrai dire, lui étaient particuliers : Marengo vint consolider sa puissance. L’exécution du duc d’Enghien ravive contre lui les haines. Le procès du général Moreau est très impopulaire et révolte les anciens compagnons d’armes du vainqueur de Hohenlinden ; le public est favorable aux accusés ; l’opinion se prononce nettement contre Bonaparte. Le faubourg Saint-Germain conspire. L’Empereur répond, encore une fois, à sa manière, par le bulletin de victoire d’Austerlitz. La situation, après Eylau, est des plus critiques. On répand des bruits sinistres, que la Garde Impériale a été détruite, que 500 000 Russes s’avancent pour écraser l’armée française. Les fonds publics sont en baisse, l’industrie souffre, la conscription soulève des clameurs dans le peuple qui veut la paix. Fouché transmet à l’Empereur des rapports alarmans. Il était urgent que la nouvelle de Friedland vint remettre les choses dans l’ordre. En 1808, l’Empereur sent que sa fortune chancelle ; les événemens d’Espagne ont soulevé une réprobation unanime ; en France même, on admire le courage des Espagnols ; la capitulation de Dupont à Baylen, celle de Junot à Cintra portent au prestige de l’Empereur un coup fatal. Napoléon n’est plus l’invincible : le charme est rompu. C’est bien pis en 1809, en 1812. La conspiration de Malet fut à deux doigts de réussir. D’autres, qui nous semblent des échauffourées, mirent en danger le trône ou les jours de l’Empereur. S’il a un petit groupe de fidèles, il est d’ailleurs environné d’ennemis. Les modérés, les idéologues, le parti de l’Institut, la coterie Staël le détestent. Les jacobins ne lui pardonnent pas d’avoir étranglé la République. Les royalistes servent dans ses antichambres, par habitude, et en attendant que les