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« Il est croyable, a dit saint Thomas, qu’après la résurrection les saints chanteront les louanges de Dieu. Credibile quod post resurrectionem erit in sanctis laus vocalis. » En maint endroit de la Divine Comédie, le grand poète confirme la croyance et la promesse du grand docteur. Il nous assure même que la voix des bienheureux, cette voix qu’ils auront de nouveau « revêtue » (La rivestita voce alleluiando), sera plus vivante encore que celle des vivans (In voce assai più che la nostra viva). Dante eut de la musique une idée si haute, que lui, l’un des maîtres du verbe, il n’a cru celui-ci ni capable ni digne de tout exprimer. Il a senti que la musique défie la parole et la dépasse infiniment. « Des voix, dit-il au douzième chant du Purgatoire, des voix chantèrent Beati pauperes spiritu, mais d’un tel accent, que les mots ne peuvent le rendre[1]. » Ainsi le Verbe, qui s’est fait chair ici-bas, là-haut se fera chant. Seule entre tous les arts, la musique au ciel survivra. Que dis-je, elle revivra plus pure et plus belle. Dépouillant elle aussi tout ce qu’elle eut d’humain et de passager : la sensualité, la passion et la douleur, ce qu’elle contient de divin et d’impérissable : l’ordre, la raison, l’amour, demeurera seul en elle et s’y épanouira pour jamais, et comme les autres créatures, elle trouvera près de Dieu la plénitude et la perfection de son être.

Voilà la conception dantesque de notre art. Pour la musique elle-même, c’est un titre d’honneur, une promesse de gloire infinie ; pour ceux qui l’aiment et souhaitent de n’en être jamais séparés, c’est le gage d’une immortelle espérance.


CAMILLE BELLAIGUE.

  1.  ::Voci
    Cantaron si, che nol diria sermone.