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débute par le pâle Ave Maria de Piccarda Donati, s’accroît et s’épure, à mesure que le poète s’élève avec Béatrice qui le guide. Ils sont parvenus tous les deux au ciel de Saturne. Alors la divine conductrice, qui plusieurs fois, traversant des cieux moins sublimes, avait souri, s’interdit de sourire. « Si je souriais, me dit-elle, il en serait de toi comme de Sémélé quand elle fut réduite en cendres[1]. »

La musique à son tour se taisant, Dante s’étonne et s’afflige que l’une et l’autre joie lui soient ravies. « Pourquoi, demande-t-il, pourquoi fait-elle silence, la douce symphonie du Paradis, qui résonnait ailleurs si dévotement ? » Et l’âme interrogée (celle de Pierre Damien) lui répond : « Ton oreille est mortelle comme tes yeux et tout cesse ici de chanter de même que Béatrice a cessé de sourire[2]. »

Bientôt, parmi des nuées d’anges, le Christ et la Vierge apparaissent et nous touchons au centre, au foyer de la divine splendeur. Sur les lèvres de Béatrice le sourire est revenu. Les concerts aussi recommencent et le poète plus fort, plus pur en peut supporter le ravissement sans mourir. Une mélodie entonnée par l’archange Gabriel et reprise par les chœurs célestes, se forme et se ferme pour ainsi dire en un cercle parfait :


Cosi la circulata melodia
Si sigillava,


et sur le front de la Vierge la couronne sonore s’ajoute à la couronne de lumière.

Tout est musique désormais : en d’autres termes, l’impression reçue est si profondément émouvante, si purement sentimentale, qu’elle nous vient beaucoup moins de la poésie que de la musique. Cette région supérieure du Paradis est celle des magnifiques ensembles, des tutti prodigieux. A travers l’empyrée,

  1.  ::« S’io ridessi, »
    Mi cominciò, « tu ti faresti quale
    Fu Semelè, quando di cener fêssi...
    ( Parad., XXI.)
  2.  ::E di’ perchè si tace in questa ruota
    La dolce sinfonia di Paradiso,
    Che giù per l’altre suona si devota.
    « Tu liai l’udir mortal, si come il viso, »
    Rispose a me ; « però qui non si canta
    Per quel che Beatrice non ha riso... »
    ( Parad., XXI.)