Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/890

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

travaillent ensemble, puis, leur tâche accomplie, se partagent les profits. C’est toujours le même esprit qui produisit les premières watagas indépendantes. L’œuvre énorme de la colonisation de l’Europe orientale avait exigé le groupement des forces. Il continue pour tenir tête à d’autres difficultés : poids excessif des impôts, rigueur du service militaire, et misère, qui augmente toujours à mesure que s’accroît la population sur les terres insuffisantes accordées jadis au serf émancipé.

Vivre de leur produit est à peine possible sur les riches terres noires de la Petite-Russie ; mais, si l’on pousse vers le nord, le seul aspect des champs, entrevus du chemin de fer, vous fait constater que la culture très élémentaire, telle qu’elle est pratiquée, faute de grands capitaux, ne peut fournir à ceux qui l’exercent des moyens d’existence. Une fois l’ancienne ligne des steppes passée, dans le gouvernement d’Orel, les terres encadrées de forêts où domine le bouleau n’offrent rien de comparable à la fertilité de l’Ukraine. De plus en plus, en avançant, on comprend que le climat impitoyable limite à peu de mois la durée des travaux en plein air et que l’activité humaine doit chercher un autre courant. De là l’émigration des laboureurs vers les centres industriels. La Russie est le seul pays du monde où l’on rencontre dans les villes autant de paysans que de citadins. Il est vrai que toutes les villes, sauf Pétersbourg, participent du village. Situées généralement à distance assez grande des stations, — car la main de l’autocrate qui traça la plus longue des lignes de chemin de fer, la fit absolument droite, d’un geste impérieux, en s’aidant d’une règle et sans aucun souci des localités desservies, — elles sont disséminées sur d’énormes distances. La cabane primitive y apparaît parmi des constructions ambitieuses. Une multitude rurale fréquente leurs bazars et les produits qu’elle y vend ne sont pas seulement, nous le verrons bientôt, ce que les fermiers de chez nous portent d’ordinaire au marché. Nombre de ces paysans-là hiverneront en ville et y exerceront un métier.

A Moscou, tous les cochers de fiacre, par exemple, sont accourus de la campagne, en houppelande fourrée de peau de mouton ; ils font siffler un fouet rustique dont le manche fut cueilli dans leur bois natal, et conduisent à fond de train par les rues de petits drojkis où il y a difficilement place pour deux. Ils n’ont pas de tarif ; la voiture, le cheval leur appartiennent.