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effet, de cette opération de la musique sur l’esprit et sur l’âme, que les Grecs désignaient par le mot de ϰαθαρσις.


Regarde-moi ; je suis bien, je suis bien Béatrice. Comment donc t’es-tu cru digne d’approcher de la montagne ? Ne savais-tu pas qu’ici l’homme est heureux ?

Mes regards se baissèrent vers la claire fontaine ; mais, y voyant mon image, je les tournai vers l’herbe, tant la honte avait appesanti mon front.

Telle la mère paraît menaçante à son fils, telle me parut Béatrice, parce que la pitié qui châtie laisse une saveur amère.

Elle se tut, et les anges chantèrent aussitôt : In te, Domine, speravi. Mais ils n’allèrent pas au delà de : pedes meos.

Comme la neige parmi les arbres, sur le dos de l’Italie, se resserre et se congèle au souffle des vents esclavons,

Puis, se liquéfiant, tombe goutte à goutte, pour peu que la terre qui n’a point d’ombre envoie son haleine, pareille au feu qui fond le cierge ;

Ainsi je restai sans larmes et sans soupirs jusqu’au chant de ces esprits qui mesurent leurs accords sur les accords des sphères éternelles.

Mais après que dans leurs doux concerts j’eus compris leur compassion pour moi, mieux que s’ils avaient dit : « Madame, pourquoi le confondre ainsi ? »

La glace qui s’était endurcie autour de mon cœur devint soupirs et pleurs et s’échappa douloureusement de ma poitrine par les lèvres et par les yeux.


C’est la même émotion et la même détente que saint Augustin naguère avait éprouvée en écoutant les chants de l’église ambrosienne : « Mes larmes coulaient et j’étais bien avec mes larmes ; et bene mihi erat cum eis. »

Il s’agit ici du poète seul et ce n’est que de sa douleur, une douleur de la terre, que nous le voyons affranchi. Ailleurs la musique nous apparaît encore plus saintement libératrice ; plus mystique et vraiment divine est l’œuvre qu’elle accomplit. Rappelons-nous, au second chant du Purgatoire, l’approche de la nef légère où cent âmes sont assises. A peine dégagées de leurs corps, elles commencent leur pèlerinage expiatoire. Elles chantent ; elles chantent ensemble, à l’unisson, le psaume In exitu Israël de Ægypto, et la musique fidèle, unie, peut-être coopérant à leur purification, les suit et semble même les aider sur le chemin du salut.


VI

Compagne de l’épreuve passagère, la musique enfin le sera de l’éternelle béatitude. « La dolce sinfonia di Paradiso, » qui