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sait que le tribut payé aux Mongols l’était souvent en fourrures ; les forêts russes sont riches en martres, en cerfs, en sangliers, sans compter les lièvres par milliers, et, aujourd’hui comme autrefois, les artèles russes trafiquent de tout cela. Ce sont les watagas du passé devenues indépendantes ; l’outillage que leur procuraient les princes, les nobles ou les monastères, un entrepreneur le leur fait payer cher. Comme autrefois, les rivages de la Mer-Noire et de la mer d’Azov sont exploités par des bandes organisées de Cosaques. Les quarante-six tribus nomades de Bouriates en Sibérie se partagent le gibier en vertu des principes communistes dont les antiques associations de chasse leur ont légué l’exemple. Sous leurs yourtes en peau de bêtes, ils mènent la même vie, et on en pourrait dire autant des chasseurs actuels de rennes au nord, de renards au sud, — de l’artèle des haleurs restée si primitive sur le Volga, où les Bourlaks tirent de l’épaule, en chantant, des bateaux lourdement chargés, — des artèles de bûcherons[1], de débardeurs, de rouliers, etc.

Dès le XIe siècle, un des princes régnans qui voulait bâtir une église, fait appeler l’ancien des charpentiers ; l’artèle des sauniers remonte au temps où les Finnois enseignèrent aux Russes la fabrication du sel ; même les artèles de crédit, — le crédit jouant à toute époque un si grand rôle dans la vie du paysan russe, — existaient déjà en 1531. Qu’il s’agisse de l’exploitation d’une industrie, d’une émigration, d’une bâtisse, d’une entreprise quelconque, les Russes s’organisent toujours en artèles. Celles-ci sont devenues, avec le temps, des coopératives de production qu’administre un conseil élu parmi les sociétaires. Les grands propriétaires louent des artèles pour la moisson, le fauchage des foins, le battage du blé, la construction d’une grange, la coupe des arbres. La vie du village russe étant régie par le principe communiste, toutes les entreprises des paysans se font en commun. La Pomotch (secours), association très répandue dans la Russie du Sud, n’est autre que le travail successif chez les propriétaires paysans des autres paysans formant une artèle. Ils ne sont jamais payés en espèce, mais en nature.

Chaque artèle cosaque a son ataman (nous traduirions hetman ce titre militaire) qui dirige les travaux.

Les ouvriers demeurent ensemble, se nourrissent et

  1. Lire le roman de Pétchersky : Dans la forêt.