Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/888

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nettement établis ; la gramada, l’assemblée, qui au midi remplace le mir, n’implique pas que les terres soient propriété obtchinienne, c’est-à-dire commune à tous. La gramada comme le mir est une institution représentative du village où l’Ancien, le Staroste, occupe à peu près la même place que le père dans la famille. L’autorité de l’un est limitée par les voix des adultes de son entourage, comme le pouvoir de l’autre peut l’être par celles des chefs de famille du village tout entier, mais l’obtchina ne s’allie pas à la gramada comme elle le fait au mir en Grande-Russie. Cependant tel est l’instinct et le besoin de l’association chez ce peuple tout entier, qu’au sud, au nord, partout, les artèles s’imposent.


Qu’est-ce que les artèles ? — Je renverrai ceux qui me posent cette question au livre excellent et si documenté de M. Paul Apostol[1] ; ils y trouveront résumé, sous une forme claire et intéressante, tout ce qui concerne la question des coopératives à base communiste ancienne. L’auteur les distingue absolument de celles que la Russie a empruntées depuis une trentaine d’années au reste de l’Europe, groupement conscient de forces individuelles, tout opposé par l’esprit qui l’inspire à la simple extension de la communauté domestique, que furent les premières artèles. Personne n’a su mieux que lui tirer de ce contraste les conclusions qui permettent de juger du passé, du présent et de l’avenir agricole ou industriel de la Russie, et je suis redevable en grande partie à ses recherches du peu que je sais.

Dans le sens primitif, on nomme artèle toute organisation pour un travail en commun : artèle, dérivé du turc orta, signifiant association. Le mot n’existe dans la langue russe que depuis le XVIIe siècle, mais de tout temps la chose subsista de fait. On l’appelait alors wataga. Les anciennes chroniques décrivent des watagas d’oiseleurs, car la chasse au faucon fut toujours le plaisir favori des tsars et des boyards. Dès les temps les plus reculés, des watagas de chasseurs et de pêcheurs faisaient la guerre aux morses, aux loutres, aux phoques, au saumon, aux oiseaux aquatiques ; elles exploraient la Mer-Blanche, les grands fleuves, les marais de la steppe, elles poussaient jusqu’à l’Océan glacial. On

  1. L’artèle et la coopérative en Russie, par Paul Apostol, 1899, traduit par M. Castelot, avec préface de M. A. Raffalovich, 1 vol., Guillaumin, Paris. Ceux qui comprennent le russe peuvent lire aussi le livre, ancien déjà, du professeur Issaiev et l’ouvrage, qui vient de paraître, de M. Prokopovitch.