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stature plus généralement robuste que celle des Petits-Russiens, à leurs yeux bleus, à leur teint coloré, à leur large visage qu’encadre d’ordinaire une barbe blonde ; d’ailleurs il suffirait de voir les deux voisins à l’ouvrage pour les distinguer l’un de l’autre. Ce ne peuvent être que des équipes de Grands-Russes qui s’escriment ainsi de la pioche et de la pelle vigoureusement, tous à la fois, en mesure. On dirait une forte machine aux cent bras et, pour soutenir cette énergique activité, un morceau de pain noir, une gorgée de vodka suffisent ; moyennant un salaire minime, le Grand-Russe travaille consciencieusement, infatigablement. Le Petit-Russien se garderait de prendre tant de peine et n’affecte pas la même sobriété. Quelquefois il émigre, mais non pas pour chercher au loin un travail temporaire comme fait le Russe du Nord qui, restât-il vingt ans éloigné des siens, leur enverrait, sans y manquer, tout ce qu’il gagne, en ne se réservant que le strict nécessaire. Le Petit-Russien, presque exclusivement cultivateur, moins pauvre, moins industrieux, est tout à la charrue et au bétail. Peut-être, si ses terres prennent de la valeur, les vendra-t-il pour aller une bonne fois avec toute sa famille en exploiter d’autres, là où elles sont encore à bas prix, au bord du fleuve Amour, en Sibérie, du côté d’Orenbourg, aux portes de l’Asie. Les différences, si frappantes au physique, s’affirment entre gens de la Grande et Petite-Russie dans les mœurs, le gîte, le caractère. Chez les premiers les isbas de bois, souvent misérables, donnent aux villages un air provisoire et dépenaillé, — rappelant par parenthèse les défrichemens et le log house d’Amérique, — ce qui n’empêche pas les habitans de ces cabanes d’être propres à leur façon, puisque chaque samedi, ils vont s’entre-frotter à l’étuve du village. Chez les seconds, nous avons vu qu’il n’y avait de lavées que les chaumières éblouissantes de blancheur.

Enfin le Grand-Russe est communiste né ; l’obtchina, qui met la propriété en commun, n’existe que chez lui et chacune des familles, représentée au mir par son chef, vit étroitement groupée sous le même toit, plusieurs générations ensemble. Les hommes jeunes et valides s’en vont travailler l’hiver dans les villes au profit de toute la famille. Ils deviennent charpentiers, maçons, etc., membres des artèles ou coopératives. Leur gain s’accumule entre les mains du père. Celui-ci est resté dans la ferme avec sa femme, ses belles-filles et ses petits-enfans qui